LETTRE
ENCYCLIQUE
LAUDATO SI’DU SAINT-PÈRE
FRANÇOISSUR LA SAUVEGARDE DE LA
MAISON COMMUNE
LAUDATO SI’DU SAINT-PÈRE
FRANÇOISSUR LA SAUVEGARDE DE LA
MAISON COMMUNE
1. «
Laudato si’, mi’ Signore », -
« Loué sois-tu, mon Seigneur », chantait saint François d’Assise.
Dans ce beau cantique, il nous rappelait que notre maison commune est
aussi comme une sœur, avec laquelle nous partageons l’existence,
et comme une mère, belle, qui nous accueille à bras ouverts : «
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la terre, qui
nous soutient et nous gouverne, et produit divers fruits avec les
fleurs colorées et l’herbe ».[1]
2. Cette
sœur crie en raison des dégâts que nous lui causons par
l’utilisation irresponsable et par l’abus des biens que Dieu a
déposés en elle. Nous avons grandi en pensant que nous étions ses
propriétaires et ses dominateurs, autorisés à l’exploiter. La
violence qu’il y a dans le cœur humain blessé par le péché se
manifeste aussi à travers les symptômes de maladie que nous
observons dans le sol, dans l’eau, dans l’air et dans les êtres
vivants. C’est pourquoi, parmi les pauvres les plus abandonnés et
maltraités, se trouve notre terre opprimée et dévastée, qui «
gémit en travail d’enfantement » (Bm 8, 22). Nous
oublions que nous-mêmes, nous sommes poussière (cf. Gn 2,
7). Notre propre corps est constitué d’éléments de la planète,
son air nous donne le souffle et son eau nous vivifie comme elle nous
restaure.
Rien
de ce monde ne nous est indifférent
3. Il
y a plus de cinquante ans, quand le monde vacillait au bord d’une
crise nucléaire, le Pape saint Jean
XXIII a écrit une Encyclique dans laquelle il ne se
contentait pas de rejeter une guerre, mais a voulu transmettre une
proposition de paix. Il a adressé son message Pacem
in terris «
aux fidèles de l’univers » tout entier, mais il ajoutait « ainsi
qu’à tous les hommes de bonne volonté ». À présent, face à la
détérioration globale de l’environnement, je voudrais m’adresser
à chaque personne qui habite cette planète. Dans mon
Exhortation Evangelii
gaudium,
j’ai écrit aux membres de l’Église en vue d'engager un
processus de réforme missionnaire encore en cours. Dans la présente
Encyclique, je me propose spécialement d’entrer en dialogue avec
tous au sujet de notre maison commune.
4. Huit
ans après Pacem
in terris,
en 1971, le bienheureux Pape Paul
VI s’est référé à la problématique écologique, en la
présentant comme une crise qui est « une conséquence...dramatique
» de l’activité sans contrôle de l’être humain : « Par une
exploitation inconsidérée de la nature [l’être humain] risque de
la détruire et d’être à son tour la victime de cette dégradation
».[2] Il
a parlé également à la FAO de la possibilité de « l’effet des
retombées de la civilisation industrielle, [qui risquait] de
conduire à une véritable catastrophe écologique », en soulignant
« l’urgence et la nécessité d’un changement presque radical
dans le comportement de l’humanité », parce que « les progrès
scientifiques les plus extraordinaires, les prouesses techniques les
plus étonnantes, la croissance économique la plus prodigieuse, si
elles ne s’accompagnent d’un authentique progrès social et
moral, se retournent en définitive contre l’homme ».[3]
5. Saint Jean-Paul
II s’est occupé de ce thème avec un intérêt toujours
grandissant. Dans sa première
Encyclique, il a prévenu que l’être humain semble « ne
percevoir d’autres significations de son milieu naturel que celles
de servir à un usage et à une consommation dans l’immédiat
».[4] Par
la suite, il a appelé à une conversion
écologique globale.[5] Mais
en même temps, il a fait remarquer qu’on s’engage trop peu dans
« la sauvegarde des conditions morales d’une “écologie
humaine” authentique».[6] La
destruction de l’environnement humain est très grave, parce que
non seulement Dieu a confié le monde à l’être humain, mais
encore la vie de celui-ci est un don qui doit être protégé de
diverses formes de dégradation. Toute volonté de protéger et
d’améliorer le monde suppose de profonds changements dans « les
styles de vie, les modèles de production et de consommation, les
structures de pouvoir établies qui régissent aujourd’hui les
sociétés ».[7] Le
développement humain authentique a un caractère moral et suppose le
plein respect de la personne humaine, mais il doit aussi prêter
attention au monde naturel et « tenir compte de la nature de chaque
être et de ses liens mutuels dans un système ordonné ».[8] Par
conséquent, la capacité propre à l’être humain de transformer
la réalité doit se développer sur la base du don des choses fait
par Dieu à l'origine.[9]
6. Mon
prédécesseur Benoît
XVI a renouvelé l’invitation à « éliminer les causes
structurelles des dysfonctionnements de l’économie mondiale et à
corriger les modèles de croissance qui semblent incapables de
garantir le respect de l’environnement».[10] Il
a rappelé qu’on ne peut pas analyser le monde seulement en isolant
l’un de ses aspects, parce que « le livre de la nature est unique
et indivisible » et inclut, entre autres, l’environnement, la vie,
la sexualité, la famille et les relations sociales. Par conséquent,
« la dégradation de l’environnement est étroitement liée à la
culture qui façonne la communauté humaine».[11] Le
Pape Benoît nous a proposé de reconnaître que l’environnement
naturel est parsemé de blessures causées par notre comportement
irresponsable. L’environnement social a lui aussi ses blessures.
Mais toutes, au fond, sont dues au même mal, c’est-à-dire à
l’idée qu’il n’existe pas de vérités indiscutables qui
guident nos vies, et donc que la liberté humaine n’a pas de
limites. On oublie que « l’homme n’est pas seulement une liberté
qui se crée de soi. L’homme ne se crée pas lui-même. Il est
esprit et volonté, mais il est aussi nature».[12] Avec
une paternelle préoccupation, il nous a invités à réaliser que la
création subit des préjudices, là « où nous-mêmes sommes les
dernières instances, où le tout est simplement notre propriété
que nous consommons uniquement pour nous-mêmes. Et le gaspillage des
ressources de la Création commence là où nous ne reconnaissons
plus aucune instance au-dessus de nous, mais ne voyons plus que
nous-mêmes ».[13]
Unis
par une même préoccupation
7. Ces
apports des Papes recueillent la réflexion d’innombrables
scientifiques, philosophes, théologiens et organisations sociales
qui ont enrichi la pensée de l’Église sur ces questions. Mais
nous ne pouvons pas ignorer qu’outre l’Église catholique,
d’autres Églises et Communautés chrétiennes – comme aussi
d’autres religions – ont nourri une grande préoccupation et une
précieuse réflexion sur ces thèmes qui nous préoccupent tous.
Pour prendre un seul exemple remarquable, je voudrais recueillir
brièvement en partie l’apport du cher Patriarche Œcuménique
Bartholomée, avec qui nous partageons l’espérance de la pleine
communion ecclésiale.
8. Le
Patriarche Bartholomée s’est référé particulièrement à la
nécessité de se repentir, chacun, de ses propres façons de porter
préjudice à la planète, parce que « dans la mesure où tous nous
causons de petits préjudices écologiques », nous sommes appelés à
reconnaître « notre contribution – petite ou grande – à la
défiguration et à la destruction de la création ».[14] Sur
ce point, il s’est exprimé à plusieurs reprises d’une manière
ferme et stimulante, nous invitant à reconnaître les péchés
contre la création : « Que les hommes dégradent l’intégrité de
la terre en provoquant le changement climatique, en dépouillant la
terre de ses forêts naturelles ou en détruisant ses zones humides ;
que les hommes portent préjudice à leurs semblables par des
maladies en contaminant les eaux, le sol, l’air et l’environnement
par des substances polluantes, tout cela, ce sont des péchés »
;[15] car
« un crime contre la nature est un crime contre nous-mêmes et un
péché contre Dieu ».[16]
9. En
même temps, Bartholomée a attiré l’attention sur les racines
éthiques et spirituelles des problèmes environnementaux qui
demandent que nous trouvions des solutions non seulement grâce à la
technique mais encore à travers un changement de la part de l’être
humain, parce qu’autrement nous affronterions uniquement les
symptômes. Il nous a proposé de passer de la consommation au
sacrifice, de l’avidité à la générosité, du gaspillage à la
capacité de partager, dans une ascèse qui « signifie apprendre à
donner, et non simplement à renoncer. C’est une manière d’aimer,
de passer progressivement de ce que je veux à ce dont le monde de
Dieu a besoin. C’est la libération de la peur, de l’avidité, de
la dépendance ».[17] Nous
chrétiens, en outre, nous sommes appelés à « accepter le monde
comme sacrement de communion, comme manière de partager avec Dieu et
avec le prochain à une échelle globale. C’est notre humble
conviction que le divin et l’humain se rencontrent même dans les
plus petits détails du vêtement sans coutures de la création de
Dieu, jusque dans l’infime grain de poussière de notre planète
».[18]
Saint
François d’Assise
10. Je
ne veux pas poursuivre cette Encyclique sans recourir à un beau
modèle capable de nous motiver. J’ai pris son nom comme guide et
inspiration au moment de mon élection en tant qu’Évêque de Rome.
Je crois que François est l’exemple par excellence de la
protection de ce qui est faible et d’une écologie intégrale,
vécue avec joie et authenticité. C’est le saint patron de tous
ceux qui étudient et travaillent autour de l’écologie, aimé
aussi par beaucoup de personnes qui ne sont pas chrétiennes. Il a
manifesté une attention particulière envers la création de Dieu
ainsi qu’envers les pauvres et les abandonnés. Il aimait et était
aimé pour sa joie, pour son généreux engagement et pour son cœur
universel. C’était un mystique et un pèlerin qui vivait avec
simplicité et dans une merveilleuse harmonie avec Dieu, avec les
autres, avec la nature et avec lui-même. En lui, on voit jusqu’à
quel point sont inséparables la préoccupation pour la nature, la
justice envers les pauvres, l’engagement pour la société et la
paix intérieure.
11. Son
témoignage nous montre aussi qu’une écologie intégrale requiert
une ouverture à des catégories qui transcendent le langage des
mathématiques ou de la biologie, et nous orientent vers l’essence
de l’humain. Tout comme cela arrive quand nous tombons amoureux
d’une personne, chaque fois qu’il regardait le soleil, la lune ou
les animaux même les plus petits, sa réaction était de chanter, en
incorporant dans sa louange les autres créatures. Il entrait en
communication avec toute la création, et il prêchait même aux
fleurs « en les invitant à louer le Seigneur, comme si elles
étaient dotées de raison ».[19] Sa
réaction était bien plus qu’une valorisation intellectuelle ou
qu’un calcul économique, parce que pour lui, n’importe quelle
créature était une sœur, unie à lui par des liens d’affection.
Voilà pourquoi il se sentait appelé à protéger tout ce qui
existe. Son disciple saint Bonaventure rapportait que, « considérant
que toutes les choses ont une origine commune, il se sentait rempli
d’une tendresse encore plus grande et il appelait les créatures,
aussi petites soient-elles, du nom de frère ou de sœur ».[20] Cette
conviction ne peut être considérée avec mépris comme un
romantisme irrationnel, car elle a des conséquences sur les opinions
qui déterminent notre comportement. Si nous nous approchons de la
nature et de l’environnement sans cette ouverture à l’étonnement
et à l’émerveillement, si nous ne parlons plus le langage de la
fraternité et de la beauté dans notre relation avec le monde, nos
attitudes seront celles du dominateur, du consommateur ou du pur
exploiteur de ressources, incapable de fixer des limites à ses
intérêts immédiats. En revanche, si nous nous sentons intimement
unis à tout ce qui existe, la sobriété et le souci de protection
jailliront spontanément. La pauvreté et l’austérité de saint
François n’étaient pas un ascétisme purement extérieur, mais
quelque chose de plus radical : un renoncement à transformer la
réalité en pur objet d'usage et de domination.
12. D’autre
part, saint François, fidèle à l’Écriture, nous propose de
reconnaître la nature comme un splendide livre dans lequel Dieu nous
parle et nous révèle quelque chose de sa beauté et de sa bonté :
« La grandeur et la beauté des créatures font contempler, par
analogie, leur Auteur » (Sg 13,
5), et « ce que Dieu a d’invisible depuis la création du monde,
se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres, son
éternelle puissance et sa divinité » (Bm 1,
20). C’est pourquoi il demandait qu’au couvent on laisse toujours
une partie du jardin sans la cultiver, pour qu’y croissent les
herbes sauvages, de sorte que ceux qui les admirent puissent élever
leur pensée vers Dieu, auteur de tant de beauté.[21] Le
monde est plus qu’un problème à résoudre, il est un mystère
joyeux que nous contemplons dans la joie et dans la louange.
Mon
appel
13. Le
défi urgent de sauvegarder notre maison commune inclut la
préoccupation d’unir toute la famille humaine dans la recherche
d’un développement durable et intégral, car nous savons que les
choses peuvent changer. Le Créateur ne nous abandonne pas, jamais il
ne fait marche arrière dans son projet d’amour, il ne se repent
pas de nous avoir créés. L’humanité possède encore la capacité
de collaborer pour construire notre maison commune. Je souhaite
saluer, encourager et remercier tous ceux qui, dans les secteurs les
plus variés de l’activité humaine, travaillent pour assurer la
sauvegarde de la maison que nous partageons. Ceux qui luttent avec
vigueur pour affronter les conséquences dramatiques de la
dégradation de l’environnement sur la vie des plus pauvres dans le
monde, méritent une gratitude spéciale. Les jeunes nous réclament
un changement. Ils se demandent comment il est possible de prétendre
construire un avenir meilleur sans penser à la crise de
l’environnement et aux souffrances des exclus.
14. J’adresse
une invitation urgente à un nouveau dialogue sur la façon dont nous
construisons l’avenir de la planète. Nous avons besoin d’une
conversion qui nous unisse tous, parce que le défi environnemental
que nous vivons, et ses racines humaines, nous concernent et nous
touchent tous. Le mouvement écologique mondial a déjà parcouru un
long chemin, digne d’appréciation, et il a généré de nombreuses
associations citoyennes qui ont aidé à la prise de conscience.
Malheureusement, beaucoup d’efforts pour chercher des solutions
concrètes à la crise environnementale échouent souvent, non
seulement à cause de l’opposition des puissants, mais aussi par
manque d’intérêt de la part des autres. Les attitudes qui
obstruent les chemins de solutions, même parmi les croyants, vont de
la négation du problème jusqu’à l’indifférence, la
résignation facile, ou la confiance aveugle dans les solutions
techniques. Il nous faut une nouvelle solidarité universelle. Comme
l’ont affirmé les Évêques d’Afrique du Sud, « les talents et
l’implication de
tous sont
nécessaires pour réparer les dommages causés par les abus humains
à l'encontre de la création de Dieu ».[22] Tous,
nous pouvons collaborer comme instruments de Dieu pour la sauvegarde
de la création, chacun selon sa culture, son expérience, ses
initiatives et ses capacités.
15. J’espère
que cette Lettre encyclique, qui s’ajoute au Magistère social de
l’Église, nous aidera à reconnaître la grandeur, l’urgence et
la beauté du défi qui se présente à nous. En premier lieu, je
présenterai un bref aperçu des différents aspects de la crise
écologique actuelle, en vue de prendre en considération les
meilleurs résultats de la recherche scientifique disponible
aujourd’hui, d’en faire voir la profondeur et de donner une base
concrète au parcours éthique et spirituel qui suit. À partir de
cet aperçu, je reprendrai certaines raisons qui se dégagent de la
tradition judéo-chrétienne, afin de donner plus de cohérence à
notre engagement en faveur de l’environnement. Ensuite, j’essaierai
d’arriver aux racines de la situation actuelle, pour que nous ne
considérions pas seulement les symptômes, mais aussi les causes les
plus profondes. Nous pourrons ainsi proposer une écologie qui, dans
ses différentes dimensions, incorpore la place spécifique de l’être
humain dans ce monde et ses relations avec la réalité qui
l’entoure. À la lumière de cette réflexion, je voudrais avancer
quelques grandes lignes de dialogue et d’action qui concernent
aussi bien chacun de nous que la politique internationale. Enfin,
puisque je suis convaincu que tout changement a besoin de motivations
et d’un chemin éducatif, je proposerai quelques lignes de
maturation humaine inspirées par le trésor de l’expérience
spirituelle chrétienne.
16. Bien
que chaque chapitre possède sa propre thématique et une
méthodologie spécifique, il reprend à son tour, à partir d’une
nouvelle optique, des questions importantes abordées dans les
chapitres antérieurs. C’est le cas spécialement de certains axes
qui traversent toute l’Encyclique. Par exemple : l’intime
relation entre les pauvres et la fragilité de la planète ; la
conviction que tout est lié dans le monde ; la critique du nouveau
paradigme et des formes de pouvoir qui dérivent de la technologie ;
l’invitation à chercher d’autres façons de comprendre
l’économie et le progrès ; la valeur propre de chaque créature ;
le sens humain de l’écologie ; la nécessité de débats sincères
et honnêtes ; la grave responsabilité de la politique
internationale et locale ; la culture du déchet et la proposition
d’un nouveau style de vie. Ces thèmes ne sont jamais clos, ni ne
sont laissés de côté, mais ils sont constamment repris et
enrichis.
CE
QUI SE PASSE DANS
NOTRE MAISON
NOTRE MAISON
17. Les
réflexions théologiques ou philosophiques sur la situation de
l’humanité et du monde, peuvent paraître un message répétitif
et abstrait, si elles ne se présentent pas de nouveau à partir
d’une confrontation avec le contexte actuel, en ce qu’il a
d’inédit pour l’histoire de l’humanité. Voilà pourquoi avant
de voir comment la foi apporte de nouvelles motivations et de
nouvelles exigences face au monde dont nous faisons partie, je
propose de nous arrêter brièvement pour considérer ce qui se passe
dans notre maison commune.
18. L’accélération
continuelle des changements de l’humanité et de la planète
s’associe aujourd’hui à l’intensification des rythmes de vie
et de travail, dans ce que certains appellent “rapidación”.
Bien que le changement fasse partie de la dynamique des systèmes
complexes, la rapidité que les actions humaines lui imposent
aujourd’hui contraste avec la lenteur naturelle de l’évolution
biologique. À cela, s’ajoute le fait que les objectifs de ce
changement rapide et constant ne sont pas nécessairement orientés
vers le bien commun, ni vers le développement humain, durable et
intégral. Le changement est quelque chose de désirable, mais il
devient préoccupant quand il en vient à détériorer le monde et la
qualité de vie d’une grande partie de l’humanité.
19. Après
un temps de confiance irrationnelle dans le progrès et dans la
capacité humaine, une partie de la société est en train d’entrer
dans une phase de plus grande prise de conscience. On observe une
sensibilité croissante concernant aussi bien l’environnement que
la protection de la nature, tout comme une sincère et douloureuse
préoccupation grandit pour ce qui arrive à notre planète. Faisons
un tour, certainement incomplet, de ces questions qui aujourd’hui
suscitent notre inquiétude, et que nous ne pouvons plus mettre sous
le tapis. L’objectif n’est pas de recueillir des informations ni
de satisfaire notre curiosité, mais de prendre une douloureuse
conscience, d’oser transformer en souffrance personnelle ce qui se
passe dans le monde, et ainsi de reconnaître la contribution que
chacun peut apporter.
Pollution,
ordure et culture du déchet
20. Il
existe des formes de pollution qui affectent quotidiennement les
personnes. L’exposition aux polluants atmosphériques produit une
large gamme d’effets sur la santé, en particulier des plus
pauvres, en provoquant des millions de morts prématurées. Ces
personnes tombent malades, par exemple, à cause de l’inhalation de
niveaux élevés de fumées provenant de la combustion qu’elles
utilisent pour faire la cuisine ou pour se chauffer. À cela,
s’ajoute la pollution qui affecte tout le monde, due aux moyens de
transport, aux fumées de l’industrie, aux dépôts de substances
qui contribuent à l’acidification du sol et de l’eau, aux
fertilisants, insecticides, fongicides, désherbants et
agro-chimiques toxiques en général. La technologie, liée aux
secteurs financiers, qui prétend être l’unique solution aux
problèmes, de fait, est ordinairement incapable de voir le mystère
des multiples relations qui existent entre les choses, et par
conséquent, résout parfois un problème en en créant un autre.
21. Il
faut considérer également la pollution produite par les déchets, y
compris les ordures dangereuses présentes dans différents milieux.
Des centaines de millions de tonnes de déchets sont produites chaque
année, dont beaucoup ne sont pas biodégradables : des déchets
domestiques et commerciaux, des déchets de démolition, des déchets
cliniques, électroniques et industriels, des déchets hautement
toxiques et radioactifs. La terre, notre maison commune, semble se
transformer toujours davantage en un immense dépotoir. À plusieurs
endroits de la planète, les personnes âgées ont la nostalgie des
paysages d’autrefois, qui aujourd’hui se voient inondés
d’ordures. Aussi bien les déchets industriels que les produits
chimiques utilisés dans les villes et dans l’agriculture peuvent
provoquer un effet de bio-accumulation dans les organismes des
populations voisines, ce qui arrive même quand le taux de présence
d’un élément toxique en un lieu est bas. Bien des fois, on prend
des mesures seulement quand des effets irréversibles pour la santé
des personnes se sont déjà produits.
22. Ces
problèmes sont intimement liés à la culture du déchet, qui
affecte aussi bien les personnes exclues que les choses, vite
transformées en ordures. Réalisons, par exemple, que la majeure
partie du papier qui est produit, est gaspillée et n’est pas
recyclée. Il nous coûte de reconnaître que le fonctionnement des
écosystèmes naturels est exemplaire : les plantes synthétisent des
substances qui alimentent les herbivores ; ceux-ci à leur tour
alimentent les carnivores, qui fournissent d’importantes quantités
de déchets organiques, lesquels donnent lieu à une nouvelle
génération de végétaux. Par contre, le système industriel n’a
pas développé, en fin de cycle de production et de consommation, la
capacité d’absorber et de réutiliser déchets et ordures. On
n’est pas encore arrivé à adopter un modèle circulaire de
production qui assure des ressources pour tous comme pour les
générations futures, et qui suppose de limiter au maximum
l’utilisation des ressources non renouvelables, d’en modérer la
consommation, de maximiser l’efficacité de leur exploitation, de
les réutiliser et de les recycler. Aborder cette question serait une
façon de contrecarrer la culture du déchet qui finit par affecter
la planète entière, mais nous remarquons que les progrès dans ce
sens sont encore très insuffisants.
Le
climat comme bien commun
23. Le
climat est un bien commun, de tous et pour tous. Au niveau global,
c’est un système complexe en relation avec beaucoup de conditions
essentielles pour la vie humaine. Il existe un consensus scientifique
très solide qui indique que nous sommes en présence d’un
réchauffement préoccupant du système climatique. Au cours des
dernières décennies, ce réchauffement a été accompagné de
l’élévation constante du niveau de la mer, et il est en outre
difficile de ne pas le mettre en relation avec l’augmentation
d’événements météorologiques extrêmes, indépendamment du fait
qu’on ne peut pas attribuer une cause scientifiquement déterminable
à chaque phénomène particulier. L’humanité est appelée à
prendre conscience de la nécessité de réaliser des changements de
style de vie, de production et de consommation, pour combattre ce
réchauffement ou, tout au moins, les causes humaines qui le
provoquent ou l’accentuent. Il y a, certes, d’autres facteurs
(comme le volcanisme, les variations de l’orbite et de l’axe de
la terre, le cycle solaire), mais de nombreuses études scientifiques
signalent que la plus grande partie du réchauffement global des
dernières décennies est due à la grande concentration de gaz à
effet de serre (dioxyde de carbone, méthane, oxyde de nitrogène et
autres) émis surtout à cause de l’activité humaine. En se
concentrant dans l’atmosphère, ils empêchent la chaleur des
rayons solaires réfléchis par la terre de se perdre dans l’espace.
Cela est renforcé en particulier par le modèle de développement
reposant sur l’utilisation intensive de combustibles fossiles, qui
constitue le cœur du système énergétique mondial. Le fait de
changer de plus en plus les utilisations du sol, principalement la
déforestation pour l’agriculture, a aussi des impacts.
24. À
son tour, le réchauffement a des effets sur le cycle du carbone. Il
crée un cercle vicieux qui aggrave encore plus la situation,
affectera la disponibilité de ressources indispensables telles que
l’eau potable, l’énergie ainsi que la production agricole des
zones les plus chaudes, et provoquera l’extinction d’une partie
de la biodiversité de la planète. La fonte des glaces polaires et
de celles des plaines d’altitude menace d’une libération à haut
risque de méthane ; et la décomposition de la matière organique
congelée pourrait accentuer encore plus l’émanation de dioxyde de
carbone. De même, la disparition de forêts tropicales aggrave la
situation, puisqu’elles contribuent à tempérer le changement
climatique. La pollution produite par le dioxyde de carbone augmente
l’acidité des océans et compromet la chaîne alimentaire marine.
Si la tendance actuelle continuait, ce siècle pourrait être témoin
de changements climatiques inédits et d’une destruction sans
précédent des écosystèmes, avec de graves conséquences pour nous
tous. L’élévation du niveau de la mer, par exemple, peut créer
des situations d’une extrême gravité si on tient compte du fait
que le quart de la population mondiale vit au bord de la mer ou très
proche, et que la plupart des mégapoles sont situées en zones
côtières.
25. Le
changement climatique est un problème global aux graves
répercussions environnementales, sociales, économiques,
distributives ainsi que politiques, et constitue l’un des
principaux défis actuels pour l’humanité. Les pires conséquences
retomberont probablement au cours des prochaines décennies sur les
pays en développement. Beaucoup de pauvres vivent dans des endroits
particulièrement affectés par des phénomènes liés au
réchauffement, et leurs moyens de subsistance dépendent fortement
des réserves naturelles et des services de l’écosystème, comme
l’agriculture, la pêche et les ressources forestières. Ils n’ont
pas d’autres activités financières ni d’autres ressources qui
leur permettent de s’adapter aux impacts climatiques, ni de faire
face à des situations catastrophiques, et ils ont peu d’accès aux
services sociaux et à la protection. Par exemple, les changements du
climat provoquent des migrations d’animaux et de végétaux qui ne
peuvent pas toujours s’adapter, et cela affecte à leur tour les
moyens de production des plus pauvres, qui se voient aussi obligés
d’émigrer avec une grande incertitude pour leur avenir et pour
l'avenir de leurs enfants. L’augmentation du nombre de migrants
fuyant la misère, accrue par la dégradation environnementale, est
tragique ; ces migrants ne sont pas reconnus comme réfugiés par les
conventions internationales et ils portent le poids de leurs vies à
la dérive, sans aucune protection légale. Malheureusement, il y a
une indifférence générale face à ces tragédies qui se produisent
en ce moment dans diverses parties du monde. Le manque de réactions
face à ces drames de nos frères et sœurs est un signe de la perte
de ce sens de responsabilité à l’égard de nos semblables, sur
lequel se fonde toute société civile.
26. Beaucoup
de ceux qui détiennent plus de ressources et de pouvoir économique
ou politique semblent surtout s’évertuer à masquer les problèmes
ou à occulter les symptômes, en essayant seulement de réduire
certains impacts négatifs du changement climatique. Mais beaucoup de
symptômes indiquent que ces effets ne cesseront pas d’empirer si
nous maintenons les modèles actuels de production et de
consommation. Voilà pourquoi il devient urgent et impérieux de
développer des politiques pour que, les prochaines années,
l’émission du dioxyde de carbone et d’autres gaz hautement
polluants soit réduite de façon drastique, par exemple en
remplaçant l’utilisation de combustibles fossiles et en
accroissant des sources d’énergie renouvelable. Dans le monde, il
y a un niveau d’accès réduit à des énergies propres et
renouvelables. Il est encore nécessaire de développer des
technologies adéquates d’accumulation. Cependant, dans certains
pays, des progrès qui commencent à être significatifs ont été
réalisés, bien qu’ils soient loin d’atteindre un niveau
suffisant. Il y a eu aussi quelques investissements dans les moyens
de production et de transport qui consomment moins d’énergie et
requièrent moins de matière première, comme dans le domaine de la
construction ou de la réfection d’édifices pour en améliorer
l’efficacité énergétique. Mais ces bonnes pratiques sont loin de
se généraliser.
27. D’autres
indicateurs de la situation actuelle concernent l’épuisement des
ressources naturelles. Nous sommes bien conscients de l’impossibilité
de maintenir le niveau actuel de consommation des pays les plus
développés et des secteurs les plus riches des sociétés, où
l’habitude de dépenser et de jeter atteint des niveaux inédits.
Déjà les limites maximales d’exploitation de la planète ont été
dépassées, sans que nous ayons résolu le problème de la pauvreté.
L’eau
potable et pure représente une question de première importance,
parce qu’elle est indispensable pour la vie humaine comme pour
soutenir les écosystèmes terrestres et aquatiques. Les sources
d’eau douce approvisionnent des secteurs sanitaires, agricoles et
de la pêche ainsi qu’industriels. La provision d’eau est restée
relativement constante pendant longtemps, mais en beaucoup d’endroits
la demande dépasse l’offre durable, avec de graves conséquences à
court et à long terme. De grandes villes qui ont besoin d’une
importante quantité d’eau en réserve, souffrent de périodes de
diminution de cette ressource, qui n’est pas toujours gérée de
façon équitable et impartiale aux moments critiques. Le manque
d’eau courante s’enregistre spécialement en Afrique, où de
grands secteurs de la population n’ont pas accès à une eau
potable sûre, ou bien souffrent de sécheresses qui rendent
difficile la production d’aliments. Dans certains pays, il y a des
régions qui disposent de l’eau en abondance et en même temps
d’autres qui souffrent de grave pénurie.
29. Un
problème particulièrement sérieux est celui de la qualité de
l’eau disponible pour les pauvres, ce qui provoque beaucoup de
morts tous les jours. Les maladies liées à l’eau sont fréquentes
chez les pauvres, y compris les maladies causées par les
micro-organismes et par des substances chimiques. La diarrhée et le
choléra, qui sont liés aux services hygiéniques et à
l’approvisionnement en eau impropre à la consommation, sont un
facteur significatif de souffrance et de mortalité infantile. Les
eaux souterraines en beaucoup d’endroits sont menacées par la
pollution que provoquent certaines activités extractives, agricoles
et industrielles, surtout dans les pays où il n’y a pas de
régulation ni de contrôles suffisants. Ne pensons pas seulement aux
décharges des usines. Les détergents et les produits chimiques
qu’utilise la population dans beaucoup d’endroits du monde
continuent de se déverser dans des rivières, dans des lacs et dans
des mers.
30. Tandis
que la qualité de l’eau disponible se détériore constamment, il
y a une tendance croissante, à certains endroits, à privatiser
cette ressource limitée, transformée en marchandise sujette aux
lois du marché. En réalité, l’accès à l’eau potable et
sûre est un droit humain primordial, fondamental et universel, parce
qu’il détermine la survie des personnes, et par conséquent il est
une condition pour l’exercice des autres droits humains. Ce
monde a une grave dette sociale envers les pauvres qui n’ont pas
accès à l’eau potable, parce que c’est leur nier le
droit à la vie, enraciné dans leur dignité inaliénable. Cette
dette se règle en partie par des apports économiques conséquents
pour fournir l’eau potable et l’hygiène aux plus pauvres. Mais
on observe le gaspillage d’eau, non seulement dans les pays
développés, mais aussi dans les pays les moins développés qui
possèdent de grandes réserves. Cela montre que le problème de
l’eau est en partie une question éducative et culturelle, parce
que la conscience de la gravité de ces conduites, dans un contexte
de grande injustice, manque.
31. Une
grande pénurie d’eau provoquera l’augmentation du coût des
aliments comme celle du coût de différents produits qui dépendent
de son utilisation. Certaines études ont alerté sur la possibilité
de souffrir d’une pénurie aiguë d’eau dans quelques décennies,
si on n’agit pas en urgence. Les impacts sur l’environnement
pourraient affecter des milliers de millions de personnes, et il est
prévisible que le contrôle de l’eau par de grandes entreprises
mondiales deviendra l’une des principales sources de conflits de ce
siècle.[23]
32. Les
ressources de la terre sont aussi objet de déprédation à cause de
la conception de l’économie ainsi que de l’activité commerciale
et productive fondées sur l’immédiateté. La disparition de
forêts et d’autres végétations implique en même temps la
disparition d’espèces qui pourraient être à l’avenir des
ressources extrêmement importantes, non seulement pour
l’alimentation, mais aussi pour la guérison de maladies et pour de
multiples services. Les diverses espèces contiennent des gènes qui
peuvent être des ressources-clefs pour subvenir, à l’avenir, à
certaines nécessités humaines ou pour réguler certains problèmes
de l’environnement.
33. Mais
il ne suffit pas de penser aux différentes espèces seulement comme
à d’éventuelles “ressources” exploitables, en oubliant
qu’elles ont une valeur en elles-mêmes. Chaque année,
disparaissent des milliers d’espèces végétales et animales que
nous ne pourrons plus connaître, que nos enfants ne pourront pas
voir, perdues pour toujours.
L’immense
majorité disparaît pour des raisons qui tiennent à une action
humaine. À cause de nous, des milliers d’espèces ne rendront plus
gloire à Dieu par leur existence et ne pourront plus nous
communiquer leur propre message. Nous n’en avons pas le droit.
34. Probablement,
cela nous inquiète d’avoir connaissance de l’extinction d’un
mammifère ou d’un oiseau, à cause de leur visibilité plus
grande. Mais, pour le bon fonctionnement des écosystèmes, les
champignons, les algues, les vers, les insectes, les reptiles et
l’innombrable variété de micro-organismes sont aussi nécessaires.
Certaines espèces peu nombreuses, qui sont d’habitude
imperceptibles, jouent un rôle fondamental pour établir l’équilibre
d’un lieu. Certes, l’être humain doit intervenir quand un
géo-système entre dans un état critique ; mais aujourd’hui le
niveau d’intervention humaine, dans une réalité si complexe comme
la nature, est tel que les constants désastres provoqués par l’être
humain appellent une nouvelle intervention de sa part, si bien que
l’activité humaine devient omniprésente, avec tous les risques
que cela implique. Il se crée en général un cercle vicieux où
l’intervention de l’être humain pour résoudre une difficulté,
bien des fois, aggrave encore plus la situation. Par exemple,
beaucoup d’oiseaux et d’insectes qui disparaissent à cause des
agro-toxiques créés par la technologie, sont utiles à cette même
agriculture et leur disparition devra être substituée par une autre
intervention technologique qui produira probablement d’autres
effets nocifs. Les efforts des scientifiques et des techniciens, qui
essaient d’apporter des solutions aux problèmes créés par l’être
humain, sont louables et parfois admirables. Mais en regardant le
monde, nous remarquons que ce niveau d’intervention humaine,
fréquemment au service des finances et du consumérisme, fait que la
terre où nous vivons devient en réalité moins riche et moins
belle, toujours plus limitée et plus grise, tandis qu’en même
temps le développement de la technologie et des offres de
consommation continue de progresser sans limite. Il semble ainsi que
nous prétendions substituer à une beauté, irremplaçable et
irrécupérable, une autre créée par nous.
35. Quand
on analyse l’impact environnemental d’une entreprise, on en
considère ordinairement les effets sur le sol, sur l’eau et sur
l’air, mais on n’inclut pas toujours une étude soignée de son
impact sur la biodiversité, comme si la disparition de certaines
espèces ou de groupes d’animaux ou de végétaux était quelque
chose de peu d’importance. Les routes, les nouvelles cultures, les
grillages, les barrages et d’autres constructions prennent
progressivement possession des habitats, et parfois les fragmentent
de telle manière que les populations d’animaux ne peuvent plus
migrer ni se déplacer librement, si bien que certaines espèces sont
menacées d’extinction. Il existe des alternatives qui peuvent au
moins atténuer l’impact de ces ouvrages, comme la création de
corridors biologiques, mais on observe cette attention et cette
prévention en peu de pays. Quand on exploite commercialement
certaines espèces, on n’étudie pas toujours leur forme de
croissance pour éviter leur diminution excessive, avec le
déséquilibre de l’écosystème qui en résulterait.
36. La
sauvegarde des écosystèmes suppose un regard qui aille au-delà de
l’immédiat, car lorsqu’on cherche seulement un rendement
économique rapide et facile, leur préservation n’intéresse
réellement personne. Mais le coût des dommages occasionnés par la
négligence égoïste est beaucoup plus élevé que le bénéfice
économique qui peut en être obtenu. Dans le cas de la disparition
ou de graves dommages à certaines espèces, nous parlons de valeurs
qui excèdent tout calcul. C’est pourquoi nous pouvons être des
témoins muets de bien graves injustices, quand certains prétendent
obtenir d’importants bénéfices en faisant payer au reste de
l’humanité, présente et future, les coûts très élevés de la
dégradation de l’environnement.
37. Quelques
pays ont progressé dans la préservation efficace de certains lieux
et de certaines zones – sur terre et dans les océans – où l’on
interdit toute intervention humaine qui pourrait en modifier la
physionomie ou en altérer la constitution originelle. Dans la
préservation de la biodiversité, les spécialistes insistent sur la
nécessité d’accorder une attention spéciale aux zones les plus
riches en variétés d’espèces, aux espèces endémiques rares ou
ayant un faible degré de protection effective. Certains endroits
requièrent une protection particulière à cause de leur énorme
importance pour l’écosystème mondial, ou parce qu’ils
constituent d’importantes réserves d’eau et assurent ainsi
d’autres formes de vie.
38. Mentionnons,
par exemple, ces poumons de la planète pleins de biodiversité que
sont l’Amazonie et le bassin du fleuve Congo, ou bien les grandes
surfaces aquifères et les glaciers. On n’ignore pas l’importance
de ces lieux pour toute la planète et pour l’avenir de l’humanité.
Les écosystèmes des forêts tropicales ont une biodiversité d’une
énorme complexité, presqu’impossible à répertorier
intégralement, mais quand ces forêts sont brûlées ou rasées pour
développer des cultures, d’innombrables espèces disparaissent en
peu d’années, quand elles ne se transforment pas en déserts
arides. Cependant, un équilibre délicat s’impose, quand on parle
de ces endroits, parce qu’on ne peut pas non plus ignorer les
énormes intérêts économiques internationaux qui, sous prétexte
de les sauvegarder, peuvent porter atteinte aux souverainetés
nationales. De fait, il existe « des propositions
d’internationalisation de l’Amazonie, qui servent uniquement des
intérêts économiques des corporations transnationales ».[24] Elle
est louable la tâche des organismes internationaux et des
organisations de la société civile qui sensibilisent les
populations et coopèrent de façon critique, en utilisant aussi des
mécanismes de pression légitimes, pour que chaque gouvernement
accomplisse son propre et intransférable devoir de préserver
l’environnement ainsi que les ressources naturelles de son pays,
sans se vendre à des intérêts illégitimes locaux ou
internationaux.
39. Le
remplacement de la flore sauvage par des aires reboisées, qui
généralement sont des mono‑cultures, ne fait pas
ordinairement l’objet d’une analyse adéquate. En effet, ce
remplacement peut affecter gravement une biodiversité qui n’est
pas hébergée par les nouvelles espèces qu’on implante. Les zones
humides, qui sont transformées en terrain de culture, perdent aussi
l’énorme biodiversité qu’elles accueillaient. Dans certaines
zones côtières, la disparition des écosystèmes constitués par
les mangroves est préoccupante.
40. Les
océans non seulement constituent la majeure partie de l’eau de la
planète, mais aussi la majeure partie de la grande variété des
êtres vivants, dont beaucoup nous sont encore inconnus et sont
menacés par diverses causes. D’autre part, la vie dans les
fleuves, les lacs, les mers et les océans, qui alimente une grande
partie de la population mondiale, se voit affectée par l’extraction
désordonnée des ressources de pêche, provoquant des diminutions
drastiques de certaines espèces. Des formes sélectives de pêche,
qui gaspillent une grande partie des espèces capturées, continuent
encore de se développer. Les organismes marins que nous ne prenons
pas en considération sont spécialement menacés, comme certaines
formes de plancton qui constituent une composante très importante
dans la chaîne alimentaire marine, et dont dépendent, en
définitive, les espèces servant à notre subsistance.
41. En
pénétrant dans les mers tropicales et subtropicales, nous trouvons
les barrières de corail, qui équivalent aux grandes forêts de la
terre, parce qu’elles hébergent approximativement un million
d’espèces, incluant des poissons, des crabes, des mollusques, des
éponges, des algues, et autres. Déjà, beaucoup de barrières de
corail dans le monde sont aujourd’hui stériles ou déclinent
continuellement : « Qui a transformé le merveilleux monde marin en
cimetières sous-marins dépourvus de vie et de couleurs ? ».[25] Ce
phénomène est dû en grande partie à la pollution qui atteint la
mer, résultat de la déforestation, des monocultures agricoles, des
déchets industriels et des méthodes destructives de pêche,
spécialement celles qui utilisent le cyanure et la dynamite. Il
s’aggrave à cause de l’élévation de la température des
océans. Tout cela nous aide à réaliser comment n’importe quelle
action sur la nature peut avoir des conséquences que nous ne
soupçonnons pas à première vue, et que certaines formes
d’exploitation de ressources se font au prix d’une dégradation
qui finalement atteint même
le fond des océans.
42. Il
est nécessaire d’investir beaucoup plus dans la recherche pour
mieux comprendre le comportement des écosystèmes et analyser
adéquatement les divers paramètres de l’impact de toute
modification importante de l’environnement. En effet, toutes les
créatures sont liées, chacune doit être valorisée avec affection
et admiration, et tous en tant qu’êtres, nous avons besoin les uns
des autres. Chaque territoire a une responsabilité dans la
sauvegarde de cette famille et devrait donc faire un inventaire
détaillé des espèces qu’il héberge, afin de développer des
programmes et des stratégies de protection, en préservant avec un
soin particulier les espèces en voie d’extinction.
43. Si
nous tenons compte du fait que l’être humain est aussi une
créature de ce monde, qui a le droit de vivre et d’être heureux,
et qui de plus a une dignité éminente, nous ne pouvons pas ne pas
prendre en considération les effets de la dégradation de
l’environnement, du modèle actuel de développement et de la
culture du déchet, sur la vie des personnes.
44. Aujourd’hui
nous observons, par exemple, la croissance démesurée et désordonnée
de beaucoup de villes qui sont devenues insalubres pour y vivre, non
seulement du fait de la pollution causée par les émissions
toxiques, mais aussi à cause du chaos urbain, des problèmes de
transport, et de la pollution visuelle ainsi que sonore. Beaucoup de
villes sont de grandes structures inefficaces qui consomment énergie
et eau en excès. Certains quartiers, bien que récemment construits,
sont congestionnés et désordonnés, sans espaces verts suffisants.
Les habitants de cette planète ne sont pas faits pour vivre en étant
toujours plus envahis par le ciment, l’asphalte, le verre et les
métaux, privés du contact physique avec la nature.
45. À
certains endroits, en campagne comme en ville, la privatisation des
espaces a rendu difficile l’accès des citoyens à des zones
particulièrement belles. À d’autres endroits, on crée des
urbanisations “ écologiques ” seulement au service de
quelques-uns, en évitant que les autres entrent pour perturber une
tranquillité artificielle. Une ville belle et pleine d’espaces
verts bien protégés se trouve ordinairement dans certaines zones “
sûres ”, mais beaucoup moins dans des zones peu visibles, où
vivent les marginalisés de la société.
46. Parmi
les composantes sociales du changement global figurent les effets de
certaines innovations technologiques sur le travail, l’exclusion
sociale, l’inégalité dans la disponibilité et la consommation
d’énergie et d’autres services, la fragmentation sociale,
l’augmentation de la violence et l’émergence de nouvelles formes
d’agressivité sociale, le narcotrafic et la consommation
croissante de drogues chez les plus jeunes, la perte d’identité.
Ce sont des signes, parmi d’autres, qui montrent que la croissance
de ces deux derniers siècles n’a pas signifié sous tous ses
aspects un vrai progrès intégral ni une amélioration de la qualité
de vie. Certains de ces signes sont en même temps des symptômes
d’une vraie dégradation sociale, d’une rupture silencieuse des
liens d’intégration et de communion sociale.
47. À
cela s’ajoutent les dynamiques des moyens de communication sociale
et du monde digital, qui, en devenant omniprésentes, ne favorisent
pas le développement d’une capacité de vivre avec sagesse, de
penser en profondeur, d’aimer avec générosité. Les grands sages
du passé, dans ce contexte, auraient couru le risque de voir
s’éteindre leur sagesse au milieu du bruit de l’information qui
devient divertissement. Cela exige de nous un effort pour que ces
moyens de communication se traduisent par un nouveau développement
culturel de l’humanité, et non par une détérioration de sa
richesse la plus profonde. La vraie sagesse, fruit de la réflexion,
du dialogue et de la rencontre généreuse entre les personnes, ne
s’obtient pas par une pure accumulation de données qui finissent
par saturer et obnubiler, comme une espèce de pollution mentale. En
même temps, les relations réelles avec les autres tendent à être
substituées, avec tous les défis que cela implique, par un type de
communication transitant par Internet. Cela permet de sélectionner
ou d’éliminer les relations selon notre libre arbitre, et il naît
ainsi un nouveau type d’émotions artificielles, qui ont plus à
voir avec des dispositifs et des écrans qu’avec les personnes et
la nature. Les moyens actuels nous permettent de communiquer et de
partager des connaissances et des sentiments. Cependant, ils nous
empêchent aussi parfois d’entrer en contact direct avec la
détresse, l’inquiétude, la joie de l’autre et avec la
complexité de son expérience personnelle. C’est pourquoi nous ne
devrions pas nous étonner qu’avec l’offre écrasante de ces
produits se développe une profonde et mélancolique insatisfaction
dans les relations interpersonnelles, ou un isolement dommageable.
48. L’environnement
humain et l’environnement naturel se dégradent ensemble, et nous
ne pourrons pas affronter adéquatement la dégradation de
l’environnement si nous ne prêtons pas attention aux causes qui
sont en rapport avec la dégradation humaine et sociale. De fait, la
détérioration de l’environnement et celle de la société
affectent d’une manière spéciale les plus faibles de la planète
: « Tant l’expérience commune de la vie ordinaire que
l’investigation scientifique démontrent que ce sont les pauvres
qui souffrent davantage des plus graves effets de toutes les
agressions environnementales ».[26] Par
exemple, l’épuisement des réserves de poissons nuit spécialement
à ceux qui vivent de la pêche artisanale et n’ont pas les moyens
de la remplacer ; la pollution de l’eau touche particulièrement
les plus pauvres qui n’ont pas la possibilité d’acheter de l’eau
en bouteille, et l’élévation du niveau de la mer affecte
principalement les populations côtières appauvries qui n’ont pas
où se déplacer. L’impact des dérèglements actuels se manifeste
aussi à travers la mort prématurée de beaucoup de pauvres, dans
les conflits générés par manque de ressources et à travers
beaucoup d’autres problèmes qui n’ont pas assez d’espace dans
les agendas du monde.[27]
49. Je
voudrais faire remarquer que souvent on n’a pas une conscience
claire des problèmes qui affectent particulièrement les exclus. Ils
sont la majeure partie de la planète, des milliers de millions de
personnes. Aujourd’hui, ils sont présents dans les débats
politiques et économiques internationaux, mais il semble souvent que
leurs problèmes se posent comme un appendice, comme une question qui
s’ajoute presque par obligation ou de manière marginale, quand on
ne les considère pas comme un pur dommage collatéral. De fait, au
moment de l’action concrète, ils sont relégués fréquemment à
la dernière place. Cela est dû en partie au fait que beaucoup de
professionnels, de leaders d’opinion, de moyens de communication et
de centres de pouvoir sont situés loin d’eux, dans des zones
urbaines isolées, sans contact direct avec les problèmes des
exclus. Ceux-là vivent et réfléchissent à partir de la commodité
d’un niveau de développement et à partir d’une qualité de vie
qui ne sont pas à la portée de la majorité de la population
mondiale. Ce manque de contact physique et de rencontre, parfois
favorisé par la désintégration de nos villes, aide à
tranquilliser la conscience et à occulter une partie de la réalité
par des analyses biaisées. Ceci cohabite parfois avec un discours “
vert ”. Mais aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous empêcher de
reconnaître qu’une vraie approche écologique se transforme
toujours en une approche sociale, qui doit intégrer la justice
dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant
la clameur de la terre que la clameur des pauvres.
50. Au
lieu de résoudre les problèmes des pauvres et de penser à un monde
différent, certains se contentent seulement de proposer une
réduction de la natalité. Les pressions internationales sur les
pays en développement ne manquent pas, conditionnant des aides
économiques à certaines politiques de “ santé reproductive ”.
Mais « s’il est vrai que la répartition inégale de la population
et des ressources disponibles crée des obstacles au développement
et à l’utilisation durable de l’environnement, il faut
reconnaître que la croissance démographique est pleinement
compatible avec un développement intégral et solidaire
».[28] Accuser
l’augmentation de la population et non le consumérisme extrême et
sélectif de certains est une façon de ne pas affronter les
problèmes. On prétend légitimer ainsi le modèle de distribution
actuel où une minorité se croit le droit de consommer dans une
proportion qu’il serait impossible de généraliser, parce que la
planète ne pourrait même pas contenir les déchets d’une telle
consommation. En outre, nous savons qu’on gaspille
approximativement un tiers des aliments qui sont produits, et « que
lorsque l’on jette de la nourriture, c’est comme si l’on volait
la nourriture à la table du pauvre ».[29] De
toute façon, il est certain qu’il faut prêter attention au
déséquilibre de la distribution de la population sur le territoire,
tant au niveau national qu’au niveau global, parce que
l’augmentation de la consommation conduirait à des situations
régionales complexes, à cause des combinaisons de problèmes liés
à la pollution environnementale, au transport, au traitement des
déchets, à la perte de ressources et à la qualité de vie, entre
autres.
51. L’inégalité
n’affecte pas seulement les individus, mais aussi des pays entiers,
et oblige à penser à une éthique des relations internationales. Il
y a, en effet, une vraie “ dette écologique ”, particulièrement
entre le Nord et le Sud, liée à des déséquilibres commerciaux,
avec des conséquences dans le domaine écologique, et liée aussi à
l’utilisation disproportionnée des ressources naturelles,
historiquement pratiquée par certains pays. Les exportations de
diverses matières premières pour satisfaire les marchés du Nord
industrialisé ont causé des dommages locaux, comme la pollution par
le mercure dans l’exploitation de l’or ou par le dioxyde de
souffre dans l’exploitation du cuivre. Il faut spécialement tenir
compte de l’utilisation de l’espace environnemental de toute la
planète, quand il s’agit de stocker les déchets gazeux qui se
sont accumulés durant deux siècles et ont généré une situation
qui affecte actuellement tous les pays du monde. Le réchauffement
causé par l’énorme consommation de certains pays riches a des
répercussions sur les régions les plus pauvres de la terre,
spécialement en Afrique, où l’augmentation de la température
jointe à la sécheresse fait des ravages au détriment du rendement
des cultures. À cela, s’ajoutent les dégâts causés par
l’exportation vers les pays en développement des déchets solides
ainsi que de liquides toxiques, et par l’activité polluante
d’entreprises qui s’autorisent dans les pays moins développés
ce qu’elles ne peuvent dans les pays qui leur apportent le capital
: « Nous constatons que souvent les entreprises qui agissent ainsi
sont des multinationales, qui font ici ce qu’on ne leur permet pas
dans des pays développés ou du dénommé premier monde.
Généralement, en cessant leurs activités et en se retirant, elles
laissent de grands passifs humains et environnementaux tels que le
chômage, des populations sans vie, l’épuisement de certaines
réserves naturelles, la déforestation, l’appauvrissement de
l’agriculture et de l’élevage local, des cratères, des coteaux
triturés, des fleuves contaminés et quelques œuvres sociales qu’on
ne peut plus maintenir ».[30]
52. La
dette extérieure des pays pauvres s’est transformée en un
instrument de contrôle, mais il n’en est pas de même avec la
dette écologique. De diverses manières, les peuples en
développement, où se trouvent les plus importantes réserves de la
biosphère, continuent d’alimenter le développement des pays les
plus riches au prix de leur présent et de leur avenir. La terre des
pauvres du Sud est riche et peu polluée, mais l’accès à la
propriété des biens et aux ressources pour satisfaire les besoins
vitaux leur est interdit par un système de relations commerciales et
de propriété structurellement pervers. Il faut que les pays
développés contribuent à solder cette dette, en limitant de
manière significative la consommation de l’énergie non
renouvelable et en apportant des ressources aux pays qui ont le plus
de besoins, pour soutenir des politiques et des programmes de
développement durable. Les régions et les pays les plus pauvres ont
moins de possibilités pour adopter de nouveaux modèles en vue de
réduire l’impact des activités de l’homme sur l’environnement,
parce qu’ils n’ont pas la formation pour développer les
processus nécessaires, et ils ne peuvent pas en assumer les coûts.
C’est pourquoi il faut maintenir claire la conscience que, dans le
changement climatique, il y a des responsabilités
diversifiées et,
comme l’ont exprimé les Évêques des États-Unis, on doit se
concentrer « spécialement sur les besoins des pauvres, des faibles
et des vulnérables, dans un débat souvent dominé par les intérêts
les plus puissants ».[31] Nous
avons besoin de renforcer la conscience que nous sommes une seule
famille humaine. Il n’y a pas de frontières ni de barrières
politiques ou sociales qui nous permettent de nous isoler, et pour
cela même il n’y a pas non plus de place pour la globalisation de
l’indifférence.
53. Ces
situations provoquent les gémissements de sœur terre, qui se
joignent au gémissement des abandonnés du monde, dans une clameur
exigeant de nous une autre direction. Nous n’avons jamais autant
maltraité ni fait de mal à notre maison commune qu’en ces deux
derniers siècles. Mais nous sommes appelés à être les instruments
de Dieu le Père pour que notre planète soit ce qu’il a rêvé en
la créant, et pour qu’elle réponde à son projet de paix, de
beauté et de plénitude. Le problème est que nous n’avons pas
encore la culture nécessaire pour faire face à cette crise ; et il
faut construire des leaderships qui tracent des chemins, en cherchant
à répondre aux besoins des générations actuelles comme en
incluant tout le monde, sans nuire aux générations futures. Il
devient indispensable de créer un système normatif qui implique des
limites infranchissables et assure la protection des écosystèmes,
avant que les nouvelles formes de pouvoir dérivées du paradigme
techno-économique ne finissent par raser non seulement la politique
mais aussi la liberté et la justice.
54. La
faiblesse de la réaction politique internationale est frappante. La
soumission de la politique à la technologie et aux finances se
révèle dans l’échec des Sommets mondiaux sur l’environnement.
Il y a trop d’intérêts particuliers, et très facilement
l’intérêt économique arrive à prévaloir sur le bien commun et
à manipuler l’information pour ne pas voir affectés ses projets.
En ce sens, le Document
d’Aparecida réclame
que « dans les interventions sur les ressources naturelles ne
prédominent pas les intérêts des groupes économiques qui ravagent
déraisonnablement les sources de la vie ».[32] L’alliance
entre l’économie et la technologie finit par laisser de côté ce
qui ne fait pas partie de leurs intérêts immédiats. Ainsi, on peut
seulement s’attendre à quelques déclarations superficielles,
quelques actions philanthropiques isolées, voire des efforts pour
montrer une sensibilité envers l’environnement, quand, en réalité,
toute tentative des organisations sociales pour modifier les choses
sera vue comme une gêne provoquée par des utopistes romantiques ou
comme un obstacle à contourner.
55. Peu
à peu certains pays peuvent enregistrer des progrès importants, le
développement de contrôles plus efficaces et une lutte plus sincère
contre la corruption. Il y a plus de sensibilité écologique de la
part des populations, bien que cela ne suffise pas pour modifier les
habitudes nuisibles de consommation, qui ne semblent pas céder mais
s’amplifient et se développent. C’est ce qui arrive, pour donner
seulement un exemple simple, avec l’augmentation croissante de
l’utilisation et de l’intensité des climatiseurs. Les marchés,
en cherchant un gain immédiat, stimulent encore plus la demande. Si
quelqu’un observait de l’extérieur la société planétaire, il
s’étonnerait face à un tel comportement qui semble parfois
suicidaire.
56. Pendant
ce temps, les pouvoirs économiques continuent de justifier le
système mondial actuel, où priment une spéculation et une
recherche du revenu financier qui tendent à ignorer tout contexte,
de même que les effets sur la dignité humaine et sur
l’environnement. Ainsi, il devient manifeste que la dégradation de
l’environnement comme la dégradation humaine et éthique sont
intimement liées. Beaucoup diront qu’ils n’ont pas conscience de
réaliser des actions immorales, parce que la distraction constante
nous ôte le courage de nous rendre compte de la réalité d’un
monde limité et fini. Voilà pourquoi aujourd’hui « tout ce qui
est fragile, comme l’environnement, reste sans défense par rapport
aux intérêts du marché divinisé, transformés en règle absolue
».[33]
57. Il
est prévisible que, face à l’épuisement de certaines ressources,
se crée progressivement un scénario favorable à de nouvelles
guerres, déguisées en revendications nobles. La guerre produit
toujours de graves dommages à l’environnement comme à la richesse
culturelle des populations, et les risques deviennent gigantesques
quand on pense aux armes nucléaires ainsi qu’aux armes
biologiques. En effet, « malgré l’interdiction par des accords
internationaux de la guerre chimique, bactériologique et biologique,
en réalité la recherche continue dans les laboratoires pour
développer de nouvelles armes offensives capables d’altérer les
équilibres naturels ».[34] Une
plus grande attention est requise de la part de la politique pour
prévenir et pour s’attaquer aux causes qui peuvent provoquer de
nouveaux conflits. Mais c’est le pouvoir lié aux secteurs
financiers qui résiste le plus à cet effort, et les projets
politiques n’ont pas habituellement de largeur de vue. Pourquoi
veut-on préserver aujourd'hui un pouvoir qui laissera dans
l’histoire le souvenir de son incapacité à intervenir quand il
était urgent et nécessaire de le faire ?
58. Dans
certains pays, il y a des exemples positifs de réussites dans les
améliorations de l’environnement tels que l’assainissement de
certaines rivières polluées durant de nombreuses décennies, ou la
récupération de forêts autochtones, ou l’embellissement de
paysages grâce à des œuvres d’assainissement environnemental, ou
des projets de construction de bâtiments de grande valeur
esthétique, ou encore, par exemple, grâce à des progrès dans la
production d’énergie non polluante, dans les améliorations du
transport public. Ces actions ne résolvent pas les problèmes
globaux, mais elles confirment que l’être humain est encore
capable d’intervenir positivement. Comme il a été créé pour
aimer, du milieu de ses limites, jaillissent inévitablement des
gestes de générosité, de solidarité et d’attention.
59. En
même temps, une écologie superficielle ou apparente se développe,
qui consolide un certain assoupissement et une joyeuse
irresponsabilité. Comme cela arrive ordinairement aux époques de
crises profondes, qui requièrent des décisions courageuses, nous
sommes tentés de penser que ce qui est en train de se passer n’est
pas certain. Si nous regardons les choses en surface, au-delà de
quelques signes visibles de pollution et de dégradation, il semble
qu’elles ne soient pas si graves et que la planète pourrait
subsister longtemps dans les conditions actuelles. Ce comportement
évasif nous permet de continuer à maintenir nos styles de vie, de
production et de consommation. C’est la manière dont l’être
humain s’arrange pour alimenter tous les vices autodestructifs : en
essayant de ne pas les voir, en luttant pour ne pas les reconnaître,
en retardant les décisions importantes, en agissant comme si de rien
n’était.
60. Finalement,
reconnaissons que diverses visions et lignes de pensée se sont
développées à propos de la situation et des solutions possibles. À
l’extrême, d’un côté, certains soutiennent à tout prix le
mythe du progrès et affirment que les problèmes écologiques seront
résolus simplement grâce à de nouvelles applications techniques,
sans considérations éthiques ni changements de fond. De l’autre
côté, d’autres pensent que, à travers n’importe laquelle de
ses interventions, l’être humain ne peut être qu’une menace et
nuire à l’écosystème mondial, raison pour laquelle il
conviendrait de réduire sa présence sur la planète et d’empêcher
toute espèce d’intervention de sa part. Entre ces deux extrêmes,
la réflexion devrait identifier de possibles scénarios futurs,
parce qu’il n’y a pas une seule issue. Cela donnerait lieu à
divers apports qui pourraient entrer dans un dialogue en vue de
réponses intégrales.
61. Sur
beaucoup de questions concrètes, en principe, l’Église n’a pas
de raison de proposer une parole définitive et elle comprend qu’elle
doit écouter puis promouvoir le débat honnête entre scientifiques,
en respectant la diversité d’opinions. Mais il suffit de regarder
la réalité avec sincérité pour constater qu’il y a une grande
détérioration de notre maison commune. L’espérance nous invite à
reconnaître qu’il y a toujours une voie de sortie, que nous
pouvons toujours repréciser le cap, que nous pouvons toujours faire
quelque chose pour résoudre les problèmes. Cependant, des symptômes
d’un point de rupture semblent s’observer, à cause de la
rapidité des changements et de la dégradation, qui se manifestent
tant dans des catastrophes naturelles régionales que dans des crises
sociales ou même financières, étant donné que les problèmes du
monde ne peuvent pas être analysés ni s’expliquer de façon
isolée. Certaines régions sont déjà particulièrement en danger
et, indépendamment de toute prévision catastrophiste, il est
certain que l’actuel système mondial est insoutenable de divers
points de vue, parce que nous avons cessé de penser aux fins de
l’action humaine : « Si le regard parcourt les régions de notre
planète, il s’aperçoit immédiatement que l’humanité a déçu
l’attente divine ».[35]
L’EVANGILE
DE LA CREATION
62. Pourquoi
inclure dans ce texte, adressé à toutes les personnes de bonne
volonté, un chapitre qui fait référence à des convictions de foi
? Je n’ignore pas que, dans les domaines de la politique et de la
pensée, certains rejettent avec force l’idée d’un Créateur, ou
bien la considèrent comme sans importance au point de reléguer dans
le domaine de l’irrationnel la richesse que les religions peuvent
offrir pour une écologie intégrale et pour un développement
plénier de l’humanité. D’autres fois on considère qu’elles
sont une sous-culture qui doit seulement être tolérée. Cependant,
la science et la religion, qui proposent des approches différentes
de la réalité, peuvent entrer dans un dialogue intense et fécond
pour toutes deux.
63. Si
nous prenons en compte la complexité de la crise écologique et ses
multiples causes, nous devrons reconnaître que les solutions ne
peuvent pas venir d’une manière unique d’interpréter et de
transformer la réalité. Il est nécessaire d’avoir aussi recours
aux diverses richesses culturelles des peuples, à l’art et à la
poésie, à la vie intérieure et à la spiritualité. Si nous
cherchons vraiment à construire une écologie qui nous permette de
restaurer tout ce que nous avons détruit, alors aucune branche des
sciences et aucune forme de sagesse ne peut être laissée de côté,
la sagesse religieuse non plus, avec son langage propre. De plus,
l’Église catholique est ouverte au dialogue avec la pensée
philosophique, et cela lui permet de produire diverses synthèses
entre foi et raison. En ce qui concerne les questions sociales, cela
peut se constater dans le développement de la doctrine sociale de
l’Église, qui est appelée à s’enrichir toujours davantage à
partir des nouveaux défis.
64. Par
ailleurs, même si cette Encyclique s’ouvre au dialogue avec tous
pour chercher ensemble des chemins de libération, je veux montrer
dès le départ comment les convictions de la foi offrent aux
chrétiens, et aussi à d’autres croyants, de grandes motivations
pour la protection de la nature et des frères et sœurs les plus
fragiles. Si le seul fait d’être humain pousse les personnes à
prendre soin de l’environnement dont elles font partie, « les
chrétiens, notamment, savent que leurs devoirs à l’intérieur de
la création et leurs devoirs à l’égard de la nature et du
Créateur font partie intégrante de leur foi ».[36] Donc,
c’est un bien pour l’humanité et pour le monde que nous, les
croyants, nous reconnaissions mieux les engagements écologiques qui
jaillissent de nos convictions.
65. Sans
répéter ici l’entière théologie de la création, nous nous
demandons ce que disent les grands récits bibliques sur la création
et sur la relation entre l’être humain et le monde. Dans le
premier récit de l’œuvre de la création, dans le livre de la
Genèse, le plan de Dieu inclut la création de l’humanité. Après
la création de l’être humain, il est dit que « Dieu vit tout ce
qu’il avait fait : cela était très bon » (Gn 1,
31). La Bible enseigne que chaque être humain est créé par amour,
à l’image et à la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1,
26). Cette affirmation nous montre la très grande dignité de toute
personne humaine, qui « n’est pas seulement quelque chose, mais
quelqu’un. Elle est capable de se connaître, de se posséder, et
de librement se donner et entrer en communion avec d’autres
personnes ».[37] Saint
Jean-Paul II a rappelé que l’amour très particulier que le
Créateur a pour chaque être humain lui confère une dignité
infinie.[38] Ceux
qui s’engagent dans la défense de la dignité des personnes
peuvent trouver dans la foi chrétienne les arguments les plus
profonds pour cet engagement. Quelle merveilleuse certitude de savoir
que la vie de toute personne ne se perd pas dans un chaos
désespérant, dans un monde gouverné par le pur hasard ou par des
cycles qui se répètent de manière absurde ! Le Créateur peut dire
à chacun de nous : « Avant même de te former au ventre maternel,
je t’ai connu » (Jr 1,
5). Nous avons été conçus dans le cœur de Dieu, et donc, «
chacun de nous est le fruit d’une pensée de Dieu. Chacun de nous
est voulu, chacun est aimé, chacun est nécessaire ».[39]
66. Les
récits de la création dans le livre de la Genèse contiennent, dans
leur langage symbolique et narratif, de profonds enseignements sur
l’existence humaine et sur sa réalité historique. Ces récits
suggèrent que l’existence humaine repose sur trois relations
fondamentales intimement liées : la relation avec Dieu, avec le
prochain, et avec la terre. Selon la Bible, les trois relations
vitales ont été rompues, non seulement à l’extérieur, mais
aussi à l’intérieur de nous. Cette rupture est le péché.
L’harmonie entre le Créateur, l’humanité et l’ensemble de la
création a été détruite par le fait d’avoir prétendu prendre
la place de Dieu, en refusant de nous reconnaître comme des
créatures limitées. Ce fait a dénaturé aussi la mission de «
soumettre » la terre (cf. Gn 1,
28), de « la cultiver et la garder» (Gn 2,
15). Comme résultat, la relation, harmonieuse à l’origine entre
l’être humain et la nature, est devenue conflictuelle (cf. Gn 3,
17-19). Pour cette raison, il est significatif que l’harmonie que
vivait saint François d’Assise avec toutes les créatures ait été
interprétée comme une guérison de cette rupture. Saint Bonaventure
disait que par la réconciliation universelle avec toutes les
créatures, d’une certaine manière, François retournait à l’état
d’innocence.[40] Loin
de ce modèle, le péché aujourd’hui se manifeste, avec toute sa
force de destruction, dans les guerres, sous diverses formes de
violence et de maltraitance, dans l’abandon des plus fragiles, dans
les agressions contre la nature.
67. Nous
ne sommes pas Dieu. La terre nous précède et nous a été donnée.
Cela permet de répondre à une accusation lancée contre la pensée
judéo-chrétienne : il a été dit que, à partir du récit de la
Genèse qui invite à “dominer” la terre (cf. Gn 1,
28), on favoriserait l’exploitation sauvage de la nature en
présentant une image de l’être humain comme dominateur et
destructeur. Ce n’est pas une interprétation correcte de la Bible,
comme la comprend l’Église. S’il est vrai que, parfois, nous les
chrétiens avons mal interprété les Écritures, nous devons rejeter
aujourd’hui avec force que, du fait d’avoir été créés à
l’image de Dieu et de la mission de dominer la terre, découle pour
nous une domination absolue sur les autres créatures. Il est
important de lire les textes bibliques dans leur contexte, avec une
herméneutique adéquate, et de se souvenir qu’ils nous invitent à
“cultiver et garder” le jardin du monde (cf. Gn 2,
15). Alors que “cultiver” signifie labourer, défricher ou
travailler, “garder” signifie protéger, sauvegarder, préserver,
soigner, surveiller. Cela implique une relation de réciprocité
responsable entre l’être humain et la nature. Chaque communauté
peut prélever de la bonté de la terre ce qui lui est nécessaire
pour survivre, mais elle a aussi le devoir de la sauvegarder et de
garantir la continuité de sa fertilité pour les générations
futures ; car, en définitive, « au Seigneur la terre » (Ps 24,
1), à lui appartiennent « la terre et tout ce qui s’y trouve »
(Dt 10, 14). Pour cette raison, Dieu dénie toute
prétention de propriété absolue : « La terre ne sera pas vendue
avec perte de tout droit, car la terre m’appartient, et vous n’êtes
pour moi que des étrangers et des hôtes » (Lv 25, 23).
68. Cette
responsabilité vis-à-vis d’une terre qui est à Dieu implique que
l’être humain, doué d’intelligence, respecte les lois de la
nature et les délicats équilibres entre les êtres de ce monde,
parce que « lui commanda, eux furent créés, il les posa pour
toujours et à jamais sous une loi qui jamais ne passera » (Ps 148,
5b-6). C’est pourquoi la législation biblique s’attarde à
proposer à l’être humain diverses normes, non seulement en
relation avec ses semblables, mais aussi en relation avec les autres
êtres vivants : « Si tu vois tomber en chemin l’âne ou le bœuf
de ton frère, tu ne te déroberas pas [...] Si tu rencontres en
chemin un nid avec des oisillons ou des œufs, sur un arbre ou par
terre, et que la mère soit posée sur les oisillons ou les œufs, tu
ne prendras pas la mère sur les petits » (Dt 22, 4.6).
Dans cette perspective, le repos du septième jour n’est pas
proposé seulement à l’être humain, mais aussi « afin que se
reposent ton âne et ton bœuf » (Ex 23, 12). Nous nous
apercevons ainsi que la Bible ne donne pas lieu à un
anthropocentrisme despotique qui se désintéresserait des autres
créatures.
69. En
même temps que nous pouvons faire un usage responsable des choses,
nous sommes appelés à reconnaître que les autres êtres vivants
ont une valeur propre devant Dieu et, « par leur simple existence
ils le bénissent et lui rendent gloire »[41],
puisque « le Seigneur se réjouit en ses œuvres » (Ps 104,
31). Précisément en raison de sa dignité unique et par le fait
d’être doué d’intelligence, l’être humain est appelé à
respecter la création avec ses lois internes, car « le Seigneur,
par la sagesse, a fondé la terre » (Pr 3,
19). Aujourd'hui l’Église ne dit pas seulement que les autres
créatures sont complètement subordonnées au bien de l’homme,
comme si elles n’avaient aucune valeur en elles-mêmes et que nous
pouvions en disposer à volonté. Pour cette raison, les Évêques
d’Allemagne ont enseigné au sujet des autres créatures qu’« on
pourrait parler de la priorité de l’être sur le
fait d’être utile »[42].
Le Catéchisme remet en cause, de manière très directe et
insistante, ce qui serait un anthropocentrisme déviant : « Chaque
créature possède sa bonté et sa perfection propres [...] Les
différentes créatures, voulues en leur être propre, reflètent,
chacune à sa façon, un rayon de la sagesse et de la bonté infinies
de Dieu. C’est pour cela que l’homme doit respecter la bonté
propre de chaque créature pour éviter un usage désordonné des
choses ».[43]
70. Dans
le récit concernant Caïn et Abel, nous voyons que la jalousie a
conduit Caïn à commettre l’injustice extrême contre son frère.
Ce qui a provoqué à son tour une rupture de la relation entre Caïn
et Dieu, et entre Caïn et la terre dont il a été exilé. Ce
passage est résumé dans la conversation dramatique entre Dieu et
Caïn. Dieu demande : « Où est ton frère Abel ? ». Caïn répond
qu’il ne sait pas et Dieu insiste : « Qu’as-tu fait ? Écoute le
sang de ton frère crier vers moi du sol ! Maintenant, sois maudit et
chassé du sol fertile » (Gn 4, 9-11). La négligence
dans la charge de cultiver et de garder une relation adéquate avec
le voisin, envers lequel j’ai le devoir d’attention et de
protection, détruit ma relation intérieure avec moi-même, avec les
autres, avec Dieu et avec la terre. Quand toutes ces relations sont
négligées, quand la justice n’habite plus la terre, la Bible nous
dit que toute la vie est en danger. C’est ce que nous enseigne le
récit sur Noé, quand Dieu menace d’exterminer l’humanité en
raison de son incapacité constante à vivre à la hauteur des
exigences de justice et de paix : « La fin de toute chair est
arrivée, je l’ai décidé, car la terre est pleine de violence à
cause des hommes » (Gn 6, 13). Dans ces récits si
anciens, emprunts de profond symbolisme, une conviction actuelle
était déjà présente : tout est lié, et la protection authentique
de notre propre vie comme de nos relations avec la nature est
inséparable de la fraternité, de la justice ainsi que de la
fidélité aux autres.
71. Même
si « la méchanceté de l’homme était grande sur la terre »
(Gn 6, 5) et que Dieu « se repentit d’avoir fait
l’homme sur la terre » (Gn 6, 6), il a cependant
décidé d’ouvrir un chemin de salut à travers Noé qui était
resté intègre et juste. Ainsi, il a donné à l’humanité la
possibilité d’un nouveau commencement. Il suffit d’un être
humain bon pour qu’il y ait de l’espérance ! La tradition
biblique établit clairement que cette réhabilitation implique la
redécouverte et le respect des rythmes inscrits dans la nature par
la main du Créateur. Cela se voit, par exemple, dans la loi sur
le Sabbat. Le septième jour, Dieu se reposa de toutes
ses œuvres. Il ordonna à Israël que chaque septième jour soit un
jour de repos, un Sabbat (cf. Gn 2,
2-3 ; Ex 16, 23 ; 20, 10). Par ailleurs, une année
sabbatique fut également instituée pour Israël et sa terre, tous
les sept ans (cf. Lv 25, 1-4), pendant laquelle un
repos complet était accordé à la terre ; on ne semait pas, on
moissonnait seulement ce qui était indispensable pour subsister et
offrir l’hospitalité (cf. Lv 25, 4-6). Enfin,
passées sept semaines d’années, c’est-à-dire quarante-neuf
ans, le Jubilé était célébré, année de pardon universel et d’«
affranchissement de tous les habitants » (Lv 25, 10). Le
développement de cette législation a cherché à assurer
l’équilibre et l’équité dans les relations de l’être humain
avec ses semblables et avec la terre où il vivait et travaillait.
Mais en même temps c’était une reconnaissance que le don de la
terre, avec ses fruits, appartient à tout le peuple. Ceux qui
cultivaient et gardaient le territoire devaient en partager les
fruits, spécialement avec les pauvres, les veuves, les orphelins et
les étrangers : « Lorsque vous récolterez la moisson de votre
pays, vous ne moissonnerez pas jusqu’à l’extrême bout du champ.
Tu ne glaneras pas ta moisson, tu ne grappilleras pas ta vigne et tu
ne ramasseras pas les fruits tombés dans ton verger. Tu les
abandonneras au pauvre et à l’étranger » (Lv 19,
9-10).
72. Les
Psaumes invitent souvent l’être humain à louer le Dieu créateur
: « qui affermit la terre sur les eaux, car éternel est son amour !
» (Ps 136, 6). Mais ils invitent aussi les autres
créatures à le louer : « Louez-le Soleil et Lune, louez-le, tous
les astres de lumière ; louez-le, cieux des cieux, et les eaux
par-dessus les cieux ! Qu’ils louent le nom du Seigneur : lui
commanda et ils furent créés » (Ps 148, 3-5). Nous
existons non seulement par le pouvoir de Dieu, mais aussi face à lui
et près de lui. C’est pourquoi nous l’adorons.
73. Les
écrits des prophètes invitent à retrouver la force dans les
moments difficiles en contemplant le Dieu tout-puissant qui a créé
l’univers. Le pouvoir infini de Dieu ne nous porte pas à fuir sa
tendresse paternelle, parce qu’en lui affection et vigueur se
conjuguent. De fait, toute saine spiritualité implique en même
temps d’accueillir l’amour de Dieu, et d’adorer avec confiance
le Seigneur pour sa puissance infinie. Dans la Bible, le Dieu qui
libère et sauve est le même qui a créé l’univers, et ces deux
modes divins d’agir sont intimement et inséparablement liés : «
Ah Seigneur, voici que tu as fait le ciel et la terre par ta grande
puissance et ton bras étendu. À toi, rien n’est impossible !
[...] Tu fis sortir ton peuple Israël du pays d’Égypte par signes
et prodiges » (Jr 32, 17.21). « Le Seigneur est un Dieu
éternel, créateur des extrémités de la terre. Il ne se fatigue ni
ne se lasse, insondable est son intelligence. Il donne la force à
celui qui est fatigué, à celui qui est sans vigueur il prodigue le
réconfort » (Is 40, 28b-29).
74. L’expérience
de la captivité à Babylone a engendré une crise spirituelle qui a
favorisé un approfondissement de la foi en Dieu, explicitant sa
toute-puissance créatrice, pour exhorter le peuple à retrouver
l’espérance dans sa situation malheureuse. Des siècles plus tard,
en un autre moment d’épreuves et de persécution, quand l’Empire
romain cherchait à imposer une domination absolue, les fidèles
retrouvaient consolation et espérance en grandissant dans la
confiance au Dieu tout-puissant, et ils chantaient : « Grandes et
merveilleuses sont tes œuvres, Seigneur, Dieu Maître-de-tout ;
justes et droites sont tes voies, ô Roi des nations » (Ap 15,
3). S’il a pu créer l’univers à partir de rien, il peut aussi
intervenir dans ce monde et vaincre toute forme de mal. Par
conséquent l’injustice n’est pas invincible.
75. Nous
ne pouvons pas avoir une spiritualité qui oublie le Dieu
tout-puissant et créateur. Autrement, nous finirions par adorer
d’autres pouvoirs du monde, ou bien nous nous prendrions la place
du Seigneur au point de prétendre piétiner la réalité créée par
lui, sans connaître de limite. La meilleure manière de mettre
l’être humain à sa place, et de mettre fin à ses prétentions
d’être un dominateur absolu de la terre, c’est de proposer la
figure d’un Père créateur et unique maître du monde, parce
qu’autrement l’être humain aura toujours tendance à vouloir
imposer à la réalité ses propres lois et intérêts.
76. Pour
la tradition judéo-chrétienne, dire “création”, c’est
signifier plus que “nature”, parce qu’il y a un rapport avec un
projet de l’amour de Dieu dans lequel chaque créature a une valeur
et une signification. La nature s’entend d’habitude comme un
système qui s’analyse, se comprend et se gère, mais la création
peut seulement être comprise comme un don qui surgit de la main
ouverte du Père de tous, comme une réalité illuminée par l’amour
qui nous appelle à une communion universelle.
77. «
Par la parole du Seigneur les cieux ont été faits » (Ps 33,
6). Il nous est ainsi indiqué que le monde est issu d’une
décision, non du chaos ou du hasard, ce qui le rehausse encore plus.
Dans la parole créatrice il y a un choix libre exprimé. L’univers
n’a pas surgi comme le résultat d’une toute puissance
arbitraire, d’une démonstration de force ni d’un désir
d’auto-affirmation. La création est de l’ordre de l’amour.
L’amour de Dieu est la raison fondamentale de toute la création :
« Tu aimes en effet tout ce qui existe, tu n’as de dégout pour
rien de ce que tu as fait ; car si tu avais haï quelque chose, tu ne
l’aurais pas formé » (Sg 11,
24). Par conséquent, chaque créature est l’objet de la tendresse
du Père, qui lui donne une place dans le monde. Même la vie
éphémère de l’être le plus insignifiant est l’objet de son
amour, et, en ces peu de secondes de son existence, il l’entoure de
son affection. Saint Basile le Grand disait que le Créateur est
aussi « la bonté sans mesure »,[44] et
Dante Alighieri parlait de l’« amour qui meut le soleil et les
étoiles ».[45] Voilà
pourquoi à partir des œuvres créées, on s’élève « vers sa
miséricorde pleine d’amour ».[46]
78. En
même temps, la pensée judéo-chrétienne a démystifié la nature.
Sans cesser de l’admirer pour sa splendeur et son immensité, elle
ne lui a plus attribué de caractère divin. De cette manière, notre
engagement envers elle est davantage mis en exergue. Un retour à la
nature ne peut se faire au prix de la liberté et de la
responsabilité de l’être humain, qui fait partie du monde avec le
devoir de cultiver ses propres capacités pour le protéger et en
développer les potentialités. Si nous reconnaissons la valeur et la
fragilité de la nature, et en même temps les capacités que le
Créateur nous a octroyées, cela nous permet d’en finir
aujourd’hui avec le mythe moderne du progrès matériel sans
limite. Un monde fragile, avec un être humain à qui Dieu en confie
le soin, interpelle notre intelligence pour reconnaître comment nous
devrions orienter, cultiver et limiter notre pouvoir.
79. Dans
cet univers, constitué de systèmes ouverts qui entrent en
communication les uns avec les autres, nous pouvons découvrir
d’innombrables formes de relations et de participations. Cela
conduit à penser également à l’ensemble comme étant ouvert à
la transcendance de Dieu, dans laquelle il se développe. La foi nous
permet d’interpréter le sens et la beauté mystérieuse de ce qui
arrive. La liberté humaine peut offrir son apport intelligent à une
évolution positive, mais elle peut aussi être à l’origine de
nouveaux maux, de nouvelles causes de souffrance et de vrais reculs.
Cela donne lieu à la passionnante et dramatique histoire humaine,
capable de se convertir en un déploiement de libération, de
croissance, de salut et d’amour, ou en un chemin de décadence et
de destruction mutuelle. Voilà pourquoi l’action de l’Église ne
tente pas seulement de rappeler le devoir de prendre soin de la
nature, mais en même temps « elle doit aussi surtout protéger
l’homme de sa propre destruction ».[47]
80. Cependant
Dieu, qui veut agir avec nous et compte sur notre coopération, est
aussi capable de tirer quelque chose de bon du mal que nous
commettons, parce que « l’Esprit Saint possède une imagination
infinie, propre à l’Esprit divin, qui sait prévoir et résoudre
les problèmes des affaires humaines, même les plus complexes et les
plus impénétrables ».[48] Il
a voulu se limiter lui-même de quelque manière, en créant un monde
qui a besoin de développement, où beaucoup de choses que nous
considérons mauvaises, dangereuses ou sources de souffrances, font
en réalité partie des douleurs de l’enfantement qui nous
stimulent à collaborer avec le Créateur.[49] Il
est présent au plus intime de toute chose, sans conditionner
l’autonomie de sa créature, et cela aussi donne lieu à
l’autonomie légitime des réalités terrestres.[50] Cette
présence divine, qui assure la permanence et le développement de
tout être, « est la continuation de l’action créatrice
».[51] L’Esprit
de Dieu a rempli l’univers de potentialités qui permettent que, du
sein même des choses, quelque chose de nouveau peut surgir : « La
nature n’est rien d’autre que la connaissance d’un certain art,
concrètement l’art divin inscrit dans les choses, et par lequel
les choses elles-mêmes se meuvent vers une fin déterminée. Comme
si l’artisan constructeur de navires pouvait accorder au bois de
pouvoir se modifier de lui-même pour prendre la forme de navire
».[52]
81. Bien
que l’être humain suppose aussi des processus évolutifs, il
implique une nouveauté qui n’est pas complètement explicable par
l’évolution d’autres systèmes ouverts. Chacun de nous a, en
soi, une identité personnelle, capable d’entrer en dialogue avec
les autres et avec Dieu lui-même. La capacité de réflexion,
l’argumentation, la créativité, l’interprétation,
l’élaboration artistique, et d’autres capacités inédites,
montrent une singularité qui transcende le domaine physique et
biologique. La nouveauté qualitative qui implique le surgissement
d’un être personnel dans l’univers matériel suppose une action
directe de Dieu, un appel particulier à la vie et à la relation
d’un Tu avec un autre tu. À partir des récits bibliques, nous
considérons l’être humain comme un sujet, qui ne peut jamais être
réduit à la catégorie d’objet.
82. Mais
il serait aussi erroné de penser que les autres êtres vivants
doivent être considérés comme de purs objets, soumis à la
domination humaine arbitraire. Quand on propose une vision de la
nature uniquement comme objet de profit et d’intérêt, cela a
aussi de sérieuses conséquences sur la société. La vision qui
consolide l’arbitraire du plus fort a favorisé d’immenses
inégalités, injustices et violences pour la plus grande partie de
l’humanité, parce que les ressources finissent par appartenir au
premier qui arrive ou qui a plus de pouvoir : le gagnant emporte
tout. L’idéal d’harmonie, de justice, de fraternité et de paix
que propose Jésus est aux antipodes d’un pareil modèle, et il
l’exprimait ainsi avec respect aux pouvoirs de son époque : « Les
chefs des nations dominent sur elles en maîtres, et les grands leur
font sentir leur pouvoir. Il n’en doit pas être ainsi parmi vous :
au contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous sera votre
serviteur» (Mt 20, 25-26).
83. L’aboutissement
de la marche de l’univers se trouve dans la plénitude de Dieu, qui
a été atteinte par le Christ ressuscité, axe de la maturation
universelle.[53] Nous
ajoutons ainsi un argument de plus pour rejeter toute domination
despotique et irresponsable de l’être humain sur les autres
créatures. La fin ultime des autres créatures, ce n’est pas nous.
Mais elles avancent toutes, avec nous et par nous, jusqu’au terme
commun qui est Dieu, dans une plénitude transcendante où le Christ
ressuscité embrasse et illumine tout ; car l’être humain, doué
d’intelligence et d’amour, attiré par la plénitude du Christ,
est appelé à reconduire toutes les créatures à leur Créateur.
84. Quand
nous insistons pour dire que l’être humain est image de Dieu, cela
ne doit pas nous porter à oublier que chaque créature a une
fonction et qu’aucune n’est superflue. Tout l’univers matériel
est un langage de l’amour de Dieu, de sa tendresse démesurée
envers nous. Le sol, l’eau, les montagnes, tout est caresse de
Dieu. L’histoire de l’amitié de chacun avec Dieu se déroule
toujours dans un espace géographique qui se transforme en un signe
éminemment personnel, et chacun de nous a en mémoire des lieux dont
le souvenir lui fait beaucoup de bien. Celui qui a grandi dans les
montagnes, ou qui, enfant, s’asseyait pour boire l’eau au
ruisseau, ou qui jouait sur une place de son quartier, quand il
retourne sur ces lieux se sent appelé à retrouver sa propre
identité.
85. Dieu
a écrit un beau livre « dont les lettres sont représentées par la
multitude des créatures présentes dans l’univers ».[54] Les
Évêques du Canada ont souligné à juste titre qu’aucune créature
ne reste en dehors de cette manifestation de Dieu : « Des vues
panoramiques les plus larges à la forme de vie la plus infime, la
nature est une source constante d’émerveillement et de crainte.
Elle est, en outre, une révélation continue du divin ».[55] Les
Évêques du Japon, pour leur part, ont rappelé une chose très
suggestive : « Entendre chaque créature chanter l’hymne de son
existence, c’est vivre joyeusement dans l’amour de Dieu et dans
l’espérance ».[56] Cette
contemplation de la création nous permet de découvrir à travers
chaque chose un enseignement que Dieu veut nous transmettre, parce
que « pour le croyant contempler la création c’est aussi écouter
un message, entendre une voix paradoxale et silencieuse ».[57] Nous
pouvons affirmer qu’« à côté de la révélation proprement
dite, qui est contenue dans les Saintes Écritures, il y a donc une
manifestation divine dans le soleil qui resplendit comme dans la nuit
qui tombe ».[58] En
faisant attention à cette manifestation, l’être humain apprend à
se reconnaître lui-même dans la relation avec les autres créatures
: « Je m’exprime en exprimant le monde ; j’explore ma propre
sacralité en déchiffrant celle du monde ».[59]
86. L’ensemble
de l’univers, avec ses relations multiples, révèle mieux
l’inépuisable richesse de Dieu. Saint Thomas d’Aquin faisait
remarquer avec sagesse que la multiplicité et la variété
proviennent « de l’intention du premier agent », qui a voulu que
« ce qui manque à chaque chose pour représenter la bonté divine
soit suppléé par les autres »,[60] parce
qu’« une seule créature ne saurait suffire à [...] représenter
comme il convient »[61] sa
bonté. C’est pourquoi nous avons besoin de saisir la variété des
choses dans leurs relations multiples.[62] Par
conséquent, on comprend mieux l’importance et le sens de n’importe
quelle créature si on la contemple dans l’ensemble du projet de
Dieu. Le Catéchisme l’enseigne ainsi : « L’interdépendance des
créatures est voulue par Dieu. Le soleil et la lune, le cèdre et la
petite fleur, l’aigle et le moineau : le spectacle de leurs
innombrables diversités et inégalités signifie qu’aucune des
créatures ne se suffit à elle-même. Elles n’existent qu’en
dépendance les unes des autres, pour se compléter mutuellement, au
service les unes des autres ».[63]
87. Quand
nous prenons conscience du reflet de Dieu qui se trouve dans tout ce
qui existe, le cœur expérimente le désir d’adorer le Seigneur
pour toutes ses créatures, et avec elles, comme cela est exprimé
dans la belle hymne de saint François d’Assise :
«
Loué sois-tu, mon Seigneur,
avec toutes tes créatures,
spécialement messire frère soleil,
qui est le jour, et par lui tu nous illumines.
Et il est beau et rayonnant avec grande splendeur,
de toi, Très Haut, il porte le signe.
Loué sois-tu, mon Seigneur,
pour sœur lune et les étoiles,
dans le ciel tu les as formées
claires, précieuses et belles.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère vent,
et pour l’air et le nuage et le ciel serein
et tous les temps,
par lesquels à tes créatures tu donnes soutien.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur eau,
qui est très utile et humble,
et précieuse et chaste.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère feu,
par lequel tu illumines la nuit,
et il est beau et joyeux, et robuste et fort ».[64]
avec toutes tes créatures,
spécialement messire frère soleil,
qui est le jour, et par lui tu nous illumines.
Et il est beau et rayonnant avec grande splendeur,
de toi, Très Haut, il porte le signe.
Loué sois-tu, mon Seigneur,
pour sœur lune et les étoiles,
dans le ciel tu les as formées
claires, précieuses et belles.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère vent,
et pour l’air et le nuage et le ciel serein
et tous les temps,
par lesquels à tes créatures tu donnes soutien.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur eau,
qui est très utile et humble,
et précieuse et chaste.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère feu,
par lequel tu illumines la nuit,
et il est beau et joyeux, et robuste et fort ».[64]
88. Les
Évêques du Brésil ont souligné que toute la nature, en plus de
manifester Dieu, est un lieu de sa présence. En toute créature
habite son Esprit vivifiant qui nous appelle à une relation avec
lui.[65] La
découverte de cette présence stimule en nous le développement des
« vertus écologiques ».[66] Mais
en disant cela, n’oublions pas qu’il y a aussi une distance
infinie entre la nature et le Créateur, et que les choses de ce
monde ne possèdent pas la plénitude de Dieu. Autrement, nous ne
ferions pas de bien aux créatures, parce que nous ne reconnaîtrions
pas leur vraie et propre place, et nous finirions par exiger d’elles
indûment ce que, en leur petitesse, elles ne peuvent pas nous
donner.
89. Les
créatures de ce monde ne peuvent pas être considérées comme un
bien sans propriétaire : « Tout est à toi, Maître, ami de la vie
» (Sg 11,
26). D’où la conviction que, créés par le même Père, nous et
tous les êtres de l’univers, sommes unis par des liens invisibles,
et formons une sorte de famille universelle, une communion sublime
qui nous pousse à un respect sacré, tendre et humble. Je veux
rappeler que « Dieu nous a unis si étroitement au monde qui nous
entoure, que la désertification du sol est comme une maladie pour
chacun et nous pouvons nous lamenter sur l’extinction d’une
espèce comme si elle était une mutilation ».[67]
90. Cela
ne signifie pas que tous les êtres vivants sont égaux ni ne retire
à l’être humain sa valeur particulière, qui entraîne en même
temps une terrible responsabilité. Cela ne suppose pas non plus une
divinisation de la terre qui nous priverait de l’appel à
collaborer avec elle et à protéger sa fragilité. Ces conceptions
finiraient par créer de nouveaux déséquilibres pour échapper à
la réalité qui nous interpelle.[68] Parfois
on observe une obsession pour nier toute prééminence à la personne
humaine, et il se mène une lutte en faveur d’autres espèces que
nous n’engageons pas pour défendre l’égale dignité entre les
êtres humains. Il est vrai que nous devons nous préoccuper que
d’autres êtres vivants ne soient pas traités de manière
irresponsable. Mais les énormes inégalités qui existent entre nous
devraient nous exaspérer particulièrement, parce que nous
continuons à tolérer que les uns se considèrent plus dignes que
les autres. Nous ne nous rendons plus compte que certains croupissent
dans une misère dégradante, sans réelle possibilité d’en
sortir, alors que d’autres ne savent même pas quoi faire de ce
qu’ils possèdent, font étalage avec vanité d’une soi-disant
supériorité, et laissent derrière eux un niveau de gaspillage
qu’il serait impossible de généraliser sans anéantir la planète.
Nous continuons à admettre en pratique que les uns se sentent plus
humains que les autres, comme s’ils étaient nés avec de plus
grands droits.
91. Le
sentiment d’union intime avec les autres êtres de la nature ne
peut pas être réel si en même temps il n’y a pas dans le cœur
de la tendresse, de la compassion et de la préoccupation pour les
autres êtres humains. L’incohérence est évidente de la part de
celui qui lutte contre le trafic d’animaux en voie d’extinction
mais qui reste complètement indifférent face à la traite des
personnes, se désintéresse des pauvres, ou s’emploie à détruire
un autre être humain qui lui déplaît. Ceci met en péril le sens
de la lutte pour l’environnement. Ce n’est pas un hasard si dans
l’hymne à la création où saint François loue Dieu pour ses
créatures, il ajoute ceci : « Loué sois-tu, mon Seigneur, pour
ceux qui pardonnent par amour pour toi ». Tout est lié. Il faut
donc une préoccupation pour l’environnement unie à un amour
sincère envers les êtres humains, et à un engagement constant pour
les problèmes de la société.
92. D’autre
part, quand le cœur est authentiquement ouvert à une communion
universelle, rien ni personne n’est exclu de cette fraternité. Par
conséquent, il est vrai aussi que l’indifférence ou la cruauté
envers les autres créatures de ce monde finissent toujours par
s’étendre, d’une manière ou d’une autre, au traitement que
nous réservons aux autres êtres humains. Le cœur est unique, et la
même misère qui nous porte à maltraiter un animal ne tarde pas à
se manifester dans la relation avec les autres personnes. Toute
cruauté sur une quelconque créature « est contraire à la dignité
humaine».[69] Nous
ne pouvons pas considérer que nous aimons beaucoup si nous excluons
de nos intérêts une partie de la réalité : « Paix, justice et
sauvegarde de la création sont trois thèmes absolument liés, qui
ne pourront pas être mis à part pour être traités séparément
sous peine de tomber de nouveau dans le réductionnisme ».[70] Tout
est lié, et, comme êtres humains, nous sommes tous unis comme des
frères et des sœurs dans un merveilleux pèlerinage, entrelacés
par l’amour que Dieu porte à chacune de ses créatures et qui nous
unit aussi, avec une tendre affection, à frère soleil, à sœur
lune, à sœur rivière et à mère terre.
93. Aujourd’hui
croyants et non croyants, nous sommes d’accord sur le fait que la
terre est essentiellement un héritage commun, dont les fruits
doivent bénéficier à tous. Pour les croyants cela devient une
question de fidélité au Créateur, puisque Dieu a créé le monde
pour tous. Par conséquent, toute approche écologique doit
incorporer une perspective sociale qui prenne en compte les droits
fondamentaux des plus défavorisés. Le principe de subordination de
la propriété privée à la destination universelle des biens et,
par conséquent, le droit universel à leur usage, est une “règle
d’or” du comportement social, et « le premier principe de tout
l’ordre éthico-social ».[71] La
tradition chrétienne n’a jamais reconnu comme absolu ou
intouchable le droit à la propriété privée, et elle a souligné
la fonction sociale de toute forme de propriété privée. Saint
Jean-Paul II a rappelé avec beaucoup de force cette doctrine en
affirmant que « Dieu a donné la terre à tout le genre humain pour
qu’elle fasse vivre tous ses membres, sans
exclure ni privilégier personne ».[72] Ce
sont des paroles denses et fortes. Il a souligné qu’« un type de
développement qui ne respecterait pas et n’encouragerait pas les
droits humains, personnels et sociaux, économiques et politiques, y
compris les droits des nations et des peuples, ne serait pas non plus
digne de l’homme ».[73] Avec
une grande clarté, il a expliqué que « l’Église défend,
certes, le droit à la propriété privée, mais elle enseigne avec
non moins de clarté que sur toute propriété pèse toujours une
hypothèque sociale, pour que les biens servent à la destination
générale que Dieu leur a donnée ».[74] Par
conséquent, il a rappelé qu’« il n’est [...] pas permis, parce
que cela n’est pas conforme au dessein de Dieu, de gérer ce don
d’une manière telle que tous ces bienfaits profitent seulement à
quelques uns ».[75] Cela
remet sérieusement en cause les habitudes injustes d’une partie de
l’humanité.[76]
94. Le
riche et le pauvre ont une égale dignité parce que « le Seigneur
les a faits tous les deux » (Pr 22,
2), « petits et grands, c’est lui qui les a faits » (Sg 6,
7), et « il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons
» (Mt 5,
45). Cela a des conséquences pratiques, comme celles qu’ont
énoncées les Évêques du Paraguay : « Tout paysan a le droit
naturel de posséder un lot de terre raisonnable, où il puisse
établir sa demeure, travailler pour la subsistance de sa famille et
avoir la sécurité de l’existence. Ce droit doit être garanti
pour que son exercice ne soit pas illusoire mais réel. Cela signifie
que, en plus du titre de propriété, le paysan doit compter sur les
moyens d’éducation technique, sur des crédits, des assurances et
la commercialisation ».[77]
95. L’environnement
est un bien collectif, patrimoine de toute l’humanité, sous la
responsabilité de tous. Celui qui s’approprie quelque chose, c’est
seulement pour l’administrer pour le bien de tous. Si nous ne le
faisons pas, nous chargeons notre conscience du poids de nier
l’existence des autres. Pour cette raison, les Évêques de
Nouvelle Zélande se sont demandés ce que le commandement « tu ne
tueras pas » signifie quand « vingt pour cent de la population
mondiale consomment les ressources de telle manière qu’ils volent
aux nations pauvres, et aux futures générations, ce dont elles ont
besoin pour survivre ».[78]
96. Jésus
reprend la foi biblique au Dieu créateur et met en relief un fait
fondamental : Dieu est Père (cf. Mt 11, 25). Dans
les dialogues avec ses disciples, Jésus les invitait à reconnaître
la relation paternelle que Dieu a avec toutes ses créatures, et leur
rappelait, avec une émouvante tendresse, comment chacune d’elles
est importante aux yeux de celui-ci : « Ne vend-on pas cinq
passereaux pour deux as ? Et pas un d’entre eux n’est en oubli
devant Dieu » (Lc 12, 6). « Regardez les oiseaux du
ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent ni ne recueillent en des
greniers, et votre Père céleste les nourrit» (Mt 6,
26).
97. Le
Seigneur pouvait inviter les autres à être attentifs à la beauté
qu’il y a dans le monde, parce qu’il était lui-même en contact
permanent avec la nature et y prêtait une attention pleine
d’affection et de stupéfaction. Quand il parcourait chaque coin de
sa terre, il s’arrêtait pour contempler la beauté semée par son
Père, et il invitait ses disciples à reconnaître dans les choses
un message divin : « Levez les yeux et regardez les champs, ils sont
blancs pour la moisson » (Jn 4, 35). « Le Royaume des
Cieux est semblable à un grain de sénevé qu’un homme a pris et
semé dans son champ. C’est bien la plus petite de toutes les
graines, mais quand il a poussé, c’est la plus grande des plantes
potagères, qui devient même un arbre » (Mt 13, 31-32).
98. Jésus
vivait en pleine harmonie avec la création, et les autres s’en
émerveillaient : « Quel est donc celui-ci pour que même la mer et
les vents lui obéissent ? » (Mt 8,
27). Il n’apparaissait pas comme un ascète séparé du monde ou un
ennemi des choses agréables de la vie. Il disait, se référant à
lui-même : « Vient le Fils de l’homme, mangeant et buvant, et
l’on dit : voilà un glouton et un ivrogne» (Mt 11,
19). Il était loin des philosophies qui dépréciaient le corps, la
matière et les choses de ce monde. Cependant, ces dualismes malsains
en sont arrivés à avoir une influence importante chez certains
penseurs chrétiens au long de l’histoire, et ont défiguré
l’Évangile. Jésus travaillait de ses mains, au contact direct
quotidien avec la matière créée par Dieu pour lui donner forme
avec son habileté d’artisan. Il est frappant que la plus grande
partie de sa vie ait été consacrée à cette tâche, dans une
existence simple qui ne suscitait aucune admiration. « N’est-il
pas le charpentier, le fils de Marie ?» (Mc 6,
3). Il a sanctifié de cette manière le travail et lui a conféré
une valeur particulière pour notre maturation. Saint Jean-Paul II
enseignait qu’« en supportant la peine du travail en union avec le
Christ crucifié pour nous, l’homme collabore en quelque manière
avec le Fils de Dieu à la Rédemption ».[79]
99. Pour
la compréhension chrétienne de la réalité, le destin de toute la
création passe par le mystère du Christ, qui est présent depuis
l’origine de toutes choses : « Tout est créé par lui et pour lui
» (Col 1,
16).[80] Le
Prologue de l’Évangile de Jean (1, 1-18) montre l’activité
créatrice du Christ comme Parole divine (Logos).
Mais ce prologue surprend en affirmant que cette Parole « s’est
faite chair » (Jn 1,
14). Une Personne de la Trinité s’est insérée dans le cosmos
créé, en y liant son sort jusqu’à la croix. Dès le commencement
du monde, mais de manière particulière depuis l’Incarnation, le
mystère du Christ opère secrètement dans l’ensemble de la
réalité naturelle, sans pour autant en affecter l’autonomie.
100. Le
Nouveau Testament ne nous parle pas seulement de Jésus terrestre et
de sa relation si concrète et aimable avec le monde. Il le montre
aussi comme ressuscité et glorieux, présent dans toute la création
par sa Seigneurie universelle : « Dieu s’est plu à faire habiter
en lui toute plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres
pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la
paix par le sang de sa croix » (Col 1, 19-20). Cela nous
projette à la fin des temps, quand le Fils remettra toutes choses au
Père et que « Dieu sera tout en tous » (1Co 15, 28).
De cette manière, les créatures de ce monde ne se présentent plus
à nous comme une réalité purement naturelle, parce que le
Ressuscité les enveloppe mystérieusement et les oriente vers un
destin de plénitude. Même les fleurs des champs et les oiseaux
qu’émerveillé il a contemplés de ses yeux humains, sont
maintenant remplis de sa présence lumineuse.
LA
RACINE HUMAINE
DE LA CRISE ECOLOGIQUE
DE LA CRISE ECOLOGIQUE
101. Il
ne sert à rien de décrire les symptômes de la crise écologique,
si nous n’en reconnaissons pas la racine humaine. Il y a une
manière de comprendre la vie et l’activité humaine qui a dévié
et qui contredit la réalité jusqu’à lui nuire. Pourquoi ne
pouvons-nous pas nous arrêter pour y penser ? Dans cette réflexion,
je propose que nous nous concentrions sur le paradigme technocratique
dominant ainsi que sur la place de l’être humain et de son action
dans le monde.
102. L’humanité
est entrée dans une ère nouvelle où le pouvoir technologique nous
met à la croisée des chemins. Nous sommes les héritiers de deux
siècles d’énormes vagues de changement : la machine à vapeur, le
chemin de fer, le télégraphe, l’électricité, l’automobile,
l’avion, les industries chimiques, la médecine moderne,
l’informatique, et, plus récemment, la révolution digitale, la
robotique, les biotechnologies et les nanotechnologies. Il est juste
de se réjouir face à ces progrès, et de s’enthousiasmer devant
les grandes possibilités que nous ouvrent ces constantes nouveautés,
parce que « la science et la technologie sont un produit merveilleux
de la créativité humaine, ce don de Dieu ».[81] La
modification de la nature à des fins utiles est une caractéristique
de l’humanité depuis ses débuts, et ainsi la technique « exprime
la tendance de l’esprit humain au dépassement progressif de
certains conditionnements matériels ».[82] La
technologie a porté remède à d’innombrables maux qui nuisaient à
l’être humain et le limitaient. Nous ne pouvons pas ne pas
valoriser ni apprécier le progrès technique, surtout dans la
médecine, l’ingénierie et les communications. Et comment ne pas
reconnaître tous les efforts de beaucoup de scientifiques et de
techniciens qui ont apporté des alternatives pour un développement
durable ?
103. La
techno-science, bien orientée, non seulement peut produire des
choses réellement précieuses pour améliorer la qualité de vie de
l’être humain, depuis les objets usuels pour la maison jusqu’aux
grands moyens de transports, ponts, édifices, lieux publics, mais
encore est capable de produire du beau et de “projeter” dans le
domaine de la beauté l’être humain immergé dans le monde
matériel. Peut-on nier la beauté d’un avion, ou de certains
gratte-ciels ? Il y a de belles œuvres picturales et musicales
réalisées grâce à l’utilisation de nouveaux instruments
techniques. Ainsi, dans la recherche de la beauté de la part de
celui qui produit la technique, et en celui qui contemple cette
beauté, se réalise un saut vers une certaine plénitude proprement
humaine.
104. Mais
nous ne pouvons pas ignorer que l’énergie nucléaire, la
biotechnologie, l’informatique, la connaissance de notre propre ADN
et d’autres capacités que nous avons acquises, nous donnent un
terrible pouvoir. Mieux, elles donnent à ceux qui ont la
connaissance, et surtout le pouvoir économique d’en faire usage,
une emprise impressionnante sur l’ensemble de l’humanité et sur
le monde entier. Jamais l’humanité n’a eu autant de pouvoir sur
elle-même et rien ne garantit qu’elle s’en servira toujours
bien, surtout si l’on considère la manière dont elle est en train
de l’utiliser. Il suffit de se souvenir des bombes atomiques
lancées en plein XXème siècle, comme du grand
déploiement technologique étalé par le nazisme, par le communisme
et par d’autres régimes totalitaires au service de l’extermination
de millions de personnes, sans oublier, qu’aujourd’hui, la guerre
possède des instruments toujours plus mortifères. En quelles mains
se trouve et pourrait se trouver tant de pouvoir ? Il est
terriblement risqué qu’il réside en une petite partie de
l’humanité.
105. On
a tendance à croire « que tout accroissement de puissance est en
soi ‘progrès’, un degré plus haut de sécurité, d’utilité,
de bien-être, de force vitale, de plénitude des valeurs
»,[83] comme
si la réalité, le bien et la vérité surgissaient spontanément du
pouvoir technologique et économique lui-même. Le fait est que «
l’homme moderne n’a pas reçu l’éducation nécessaire pour
faire un bon usage de son pouvoir »,[84] parce
que l’immense progrès technologique n’a pas été accompagné
d’un développement de l’être humain en responsabilité, en
valeurs, en conscience. Chaque époque tend à développer peu
d’auto-conscience de ses propres limites. C’est pourquoi, il est
possible qu’aujourd’hui l’humanité ne se rende pas compte de
la gravité des défis qui se présentent, et « que la possibilité
devienne sans cesse plus grande pour l’homme de mal utiliser sa
puissance » quand « existent non pas des normes de liberté, mais
de prétendues nécessités : l’utilité et la sécurité
».[85] L’être
humain n’est pas pleinement autonome. Sa liberté est affectée
quand elle se livre aux forces aveugles de l’inconscient, des
nécessités immédiates, de l’égoïsme, de la violence. En ce
sens, l’homme est nu, exposé à son propre pouvoir toujours
grandissant, sans avoir les éléments pour le contrôler. Il peut
disposer de mécanismes superficiels, mais nous pouvons affirmer
qu’il lui manque aujourd’hui une éthique solide, une culture et
une spiritualité qui le limitent réellement et le contiennent dans
une abnégation lucide.
106. Le
problème fondamental est autre, encore plus profond : la manière
dont l’humanité a, de fait, assumé la technologie et son
développement avec
un paradigme homogène et unidimensionnel.
Une conception du sujet y est mise en relief qui, progressivement,
dans le processus logique et rationnel, embrasse et ainsi possède
l’objet qui se trouve à l’extérieur. Ce sujet se déploie dans
l’élaboration de la méthode scientifique avec son
expérimentation, qui est déjà explicitement une technique de
possession, de domination et de transformation. C’est comme si le
sujet se trouvait devant quelque chose d’informe, totalement
disponible pour sa manipulation. L’intervention humaine sur la
nature s’est toujours vérifiée, mais longtemps elle a eu comme
caractéristique d’accompagner, de se plier aux possibilités
qu’offrent les choses elles-mêmes. Il s’agissait de recevoir ce
que la réalité naturelle permet de soi, comme en tendant la main.
Maintenant, en revanche, ce qui intéresse c’est d’extraire tout
ce qui est possible des choses par l’imposition de la main de
l’être humain, qui tend à ignorer ou à oublier la réalité même
de ce qu’il a devant lui. Voilà pourquoi l’être humain et les
choses ont cessé de se tendre amicalement la main pour entrer en
opposition. De là, on en vient facilement à l’idée d’une
croissance infinie ou illimitée, qui a enthousiasmé beaucoup
d’économistes, de financiers et de technologues. Cela suppose le
mensonge de la disponibilité infinie des biens de la planète, qui
conduit à la “ presser ” jusqu’aux limites et même au-delà
des limites. C’est le faux présupposé « qu’il existe une
quantité illimitée d’énergie et de ressources à utiliser, que
leur régénération est possible dans l’immédiat et que les
effets négatifs des manipulations de l’ordre naturel peuvent être
facilement absorbés ».[86]
107. On
peut dire, par conséquent, qu’à l’origine de beaucoup de
difficultés du monde actuel, il y a avant tout la tendance, pas
toujours consciente, à faire de la méthodologie et des objectifs de
la techno-science un paradigme de compréhension qui conditionne la
vie des personnes et le fonctionnement de la société. Les effets de
l’application de ce moule à toute la réalité, humaine et
sociale, se constatent dans la dégradation de l’environnement,
mais cela est seulement un signe du réductionnisme qui affecte la
vie humaine et la société dans toutes leurs dimensions. Il faut
reconnaître que les objets produits par la technique ne sont pas
neutres, parce qu’ils créent un cadre qui finit par conditionner
les styles de vie, et orientent les possibilités sociales dans la
ligne des intérêts de groupes de pouvoir déterminés. Certains
choix qui paraissent purement instrumentaux sont, en réalité, des
choix sur le type de vie sociale que l’on veut développer.
108. Il
n’est pas permis de penser qu’il est possible de défendre un
autre paradigme culturel, et de se servir de la technique comme d’un
pur instrument, parce qu’aujourd’hui le paradigme technocratique
est devenu tellement dominant qu’il est très difficile de faire
abstraction de ses ressources, et il est encore plus difficile de les
utiliser sans être dominé par leur logique. C’est devenu une
contre-culture de choisir un style de vie avec des objectifs qui
peuvent être, au moins en partie, indépendants de la technique, de
ses coûts, comme de son pouvoir de globalisation et de
massification. De fait, la technique a un penchant pour chercher à
tout englober dans sa logique de fer, et l’homme qui possède la
technique « sait que, en dernière analyse, ce qui est en jeu dans
la technique, ce n’est ni l’utilité, ni le bien-être, mais la
domination : une domination au sens le plus extrême de ce terme
».[87] Et
c’est pourquoi « il cherche à saisir les éléments de la nature
comme ceux de l’existence humaine ».[88] La
capacité de décision, la liberté la plus authentique et l’espace
pour une créativité alternative des individus, sont réduits.
109. Le
paradigme technocratique tend aussi à exercer son emprise sur
l’économie et la politique. L’économie assume tout le
développement technologique en fonction du profit, sans prêter
attention à d’éventuelles conséquences négatives pour l’être
humain. Les finances étouffent l’économie réelle. Les leçons de
la crise financière mondiale n’ont pas été retenues, et on prend
en compte les leçons de la détérioration de l’environnement avec
beaucoup de lenteur. Dans certains cercles on soutient que l’économie
actuelle et la technologie résoudront tous les problèmes
environnementaux. De même on affirme, en langage peu académique,
que les problèmes de la faim et de la misère dans le monde auront
une solution simplement grâce à la croissance du marché. Ce n’est
pas une question de validité de théories économiques, que
peut-être personne aujourd’hui n’ose défendre, mais de leur
installation de fait dans le développement de l’économie. Ceux
qui n’affirment pas cela en paroles le soutiennent dans les faits
quand une juste dimension de la production, une meilleure répartition
des richesses, une sauvegarde responsable de l’environnement et les
droits des générations futures ne semblent pas les préoccuper. Par
leurs comportements, ils indiquent que l’objectif de maximiser les
bénéfices est suffisant. Mais le marché ne garantit pas en soi le
développement humain intégral ni l’inclusion sociale.[89] En
attendant, nous avons un « surdéveloppement, où consommation et
gaspillage vont de pair, ce qui contraste de façon inacceptable avec
des situations permanentes de misère déshumanisante » ;[90] et
les institutions économiques ainsi que les programmes sociaux qui
permettraient aux plus pauvres d’accéder régulièrement aux
ressources de base ne se mettent pas en place assez rapidement. On
n’a pas encore fini de prendre en compte les racines les plus
profondes des dérèglements actuels qui sont en rapport avec
l’orientation, les fins, le sens et le contexte social de la
croissance technologique et économique.
110. La
spécialisation de la technologie elle‑même implique une
grande difficulté pour regarder l’ensemble. La fragmentation des
savoirs sert dans la réalisation d’applications concrètes, mais
elle amène en général à perdre le sens de la totalité, des
relations qui existent entre les choses, d’un horizon large qui
devient sans importance. Cela même empêche de trouver des chemins
adéquats pour résoudre les problèmes les plus complexes du monde
actuel, surtout ceux de l’environnement et des pauvres, qui ne
peuvent pas être abordés d’un seul regard ou selon un seul type
d’intérêts. Une science qui prétendrait offrir des solutions aux
grandes questions devrait nécessairement prendre en compte tout ce
qu’a produit la connaissance dans les autres domaines du savoir, y
compris la philosophie et l’éthique sociale. Mais c’est une
habitude difficile à prendre aujourd’hui. C’est pourquoi de
véritables horizons éthiques de référence ne peuvent pas non plus
être reconnus. La vie est en train d’être abandonnée aux
circonstances conditionnées par la technique, comprise comme le
principal moyen d’interpréter l’existence. Dans la réalité
concrète qui nous interpelle, divers symptômes apparaissent qui
montrent cette erreur, comme la dégradation de l’environnement,
l’angoisse, la perte du sens de la vie et de la cohabitation. On
voit ainsi, une fois de plus, que « la réalité est supérieure à
l’idée ».[91]
111. La
culture écologique ne peut pas se réduire à une série de réponses
urgentes et partielles aux problèmes qui sont en train d’apparaître
par rapport à la dégradation de l’environnement, à l’épuisement
des réserves naturelles et à la pollution. Elle devrait être un
regard différent, une pensée, une politique, un programme éducatif,
un style de vie et une spiritualité qui constitueraient une
résistance face à l’avancée du paradigme technocratique.
Autrement, même les meilleures initiatives écologiques peuvent
finir par s’enfermer dans la même logique globalisée. Chercher
seulement un remède technique à chaque problème environnemental
qui surgit, c’est isoler des choses qui sont entrelacées dans la
réalité, et c’est se cacher les vraies et plus profondes
questions du système mondial.
112. Cependant,
il est possible d’élargir de nouveau le regard, et la liberté
humaine est capable de limiter la technique, de l’orienter, comme
de la mettre au service d’un autre type de progrès, plus sain,
plus humain, plus social, plus intégral. La libération par rapport
au paradigme technocratique régnant a lieu, de fait, en certaines
occasions, par exemple, quand des communautés de petits producteurs
optent pour des systèmes de production moins polluants, en soutenant
un mode de vie, de bonheur et de cohabitation non consumériste ; ou
bien quand la technique est orientée prioritaire- ment pour résoudre
les problèmes concrets des autres, avec la passion de les aider à
vivre avec plus de dignité et moins de souffrances ; de même quand
l’intention créatrice du beau et sa contemplation arrivent à
dépasser le pouvoir objectivant en une sorte de salut qui se réalise
dans le beau et dans la personne qui le contemple. L’authentique
humanité, qui invite à une nouvelle synthèse, semble habiter au
milieu de la civilisation technologique presque de manière
imperceptible, comme le brouillard qui filtre sous une porte close.
Serait-ce une promesse permanente, malgré tout, jaillissant comme
une résistance obstinée de ce qui est authentique ?
113. D’autre
part, les gens ne semblent plus croire en un avenir heureux, ils ne
mettent pas aveuglément leur confiance dans un lendemain meilleur à
partir des conditions actuelles du monde et des capacités
techniques. Ils prennent conscience que les avancées de la science
et de la technique ne sont pas équivalentes aux avancées de
l’humanité et de l’histoire, et ils perçoivent que les chemins
fondamentaux sont autres pour un avenir heureux. Cependant, ils ne
s’imaginent pas pour autant renoncer aux possibilités qu’offre
la technologie. L’humanité s’est profondément transformée, et
l’accumulation des nouveautés continuelles consacre une fugacité
qui nous mène dans une seule direction, à la surface des choses. Il
devient difficile de nous arrêter pour retrouver la profondeur de la
vie. S’il est vrai que l’architecture reflète l’esprit d’une
époque, les mégastructures et les maisons en séries expriment
l’esprit de la technique globalisée, où la nouveauté permanente
des produits s’unit à un pesant ennui. Ne nous résignons pas à
cela, et ne renonçons pas à nous interroger sur les fins et sur le
sens de toute chose. Autrement, nous légitimerions la situation
actuelle et nous aurions besoin de toujours plus de succédanés pour
supporter le vide.
114. Ce
qui arrive en ce moment nous met devant l’urgence d’avancer dans
une révolution culturelle courageuse. La science et la technologie
ne sont pas neutres, mais peuvent impliquer, du début à la fin d’un
processus, diverses intentions et possibilités, et elles peuvent se
configurer de différentes manières. Personne ne prétend vouloir
retourner à l’époque des cavernes, cependant il est indispensable
de ralentir la marche pour regarder la réalité d’une autre
manière, recueillir les avancées positives et durables, et en même
temps récupérer les valeurs et les grandes finalités qui ont été
détruites par une frénésie mégalomane.
115. L’anthropocentrisme
moderne, paradoxalement, a fini par mettre la raison technique
au-dessus de la réalité, parce que l’être humain « n’a plus
le sentiment ni que la nature soit une norme valable, ni qu’elle
lui offre un refuge vivant. Il la voit sans suppositions préalables,
objectivement, sous la forme d’un espace et d’une matière pour
une œuvre où l’on jette tout, peu importe ce qui en résultera
».[92] De
cette manière, la valeur que possède le monde en lui-même
s’affaiblit. Mais si l’être humain ne redécouvre pas sa
véritable place, il ne se comprend pas bien lui-même et finit par
contredire sa propre réalité : « Non seulement la terre a été
donnée par Dieu à l’homme, qui doit en faire usage dans le
respect de l’intention primitive, bonne, dans laquelle elle a été
donnée, mais l’homme, lui aussi, est donné par Dieu à lui-même
et il doit donc respecter la structure naturelle et morale dont il a
été doté».[93]
116. Dans
la modernité, il y a eu une grande démesure anthropocentrique qui,
sous d’autres formes, continue aujourd’hui à nuire à toute
référence commune et à toute tentative pour renforcer les liens
sociaux. C’est pourquoi, le moment est venu de prêter de nouveau
attention à la réalité avec les limites qu’elle impose, et qui
offrent à leur tour la possibilité d’un développement humain et
social plus sain et plus fécond. Une présentation inadéquate de
l’anthropologie chrétienne a pu conduire à soutenir une
conception erronée de la relation entre l’être humain et le
monde. Un rêve prométhéen de domination sur le monde s’est
souvent transmis, qui a donné l’impression que la sauvegarde de la
nature est pour les faibles. La façon correcte d’interpréter le
concept d’être humain comme “seigneur” de l’univers est
plutôt celle de le considérer comme administrateur responsable.[94]
117. Le
manque de préoccupation pour mesurer les préjudices causés à la
nature et l’impact environnemental des décisions est seulement le
reflet le plus visible d’un désintérêt pour reconnaître le
message que la nature porte inscrit dans ses structures mêmes. Quand
on ne reconnaît pas, dans la réalité même, la valeur d’un
pauvre, d’un embryon humain, d’une personne vivant une situation
de handicap – pour prendre seulement quelques exemples – on
écoutera difficilement les cris de la nature elle-même. Tout est
lié. Si l’être humain se déclare autonome par rapport à la
réalité et qu’il se pose en dominateur absolu, la base même de
son existence s’écroule, parce qu’« au lieu de remplir son rôle
de collaborateur de Dieu dans l’œuvre de la création, l’homme
se substitue à Dieu et ainsi finit par provoquer la révolte de la
nature ».[95]
118. Cette
situation nous conduit à une schizophrénie permanente, qui va de
l’exaltation technocratique qui ne reconnaît pas aux autres êtres
une valeur propre, à la réaction qui nie toute valeur particulière
à l’être humain. Mais on ne peut pas faire abstraction de
l’humanité. Il n’y aura pas de nouvelle relation avec la nature
sans un être humain nouveau. Il n’y a pas d’écologie sans
anthropologie adéquate. Quand la personne humaine est considérée
seulement comme un être parmi d’autres, qui procéderait des jeux
du hasard ou d’un déterminisme physique, « la conscience de sa
responsabilité risque de s’atténuer dans les esprits ».[96] Un
anthropocentrisme dévié ne doit pas nécessairement faire place à
un “bio-centrisme”, parce que cela impliquerait d’introduire un
nouveau déséquilibre qui, non seulement ne résoudrait pas les
problèmes mais en ajouterait d’autres. On ne peut pas exiger de
l’être humain un engagement respectueux envers le monde si on ne
reconnaît pas et ne valorise pas en même temps ses capacités
particulières de connaissance, de volonté, de liberté et de
responsabilité.
119. La
critique de l’anthropocentrisme dévié ne devrait pas non plus
faire passer au second plan la valeur des relations entre les
personnes. Si la crise écologique est l’éclosion ou une
manifestation extérieure de la crise éthique, culturelle et
spirituelle de la modernité, nous ne pouvons pas prétendre soigner
notre relation à la nature et à l’environnement sans assainir
toutes les relations fondamentales de l’être humain. Quand la
pensée chrétienne revendique une valeur particulière pour l’être
humain supérieure à celle des autres créatures, cela donne lieu à
une valorisation de chaque personne humaine, et entraîne la
reconnaissance de l’autre. L’ouverture à un “ tu ” capable
de connaître, d’aimer, et de dialoguer continue d’être la
grande noblesse de la personne humaine. C’est pourquoi, pour une
relation convenable avec le monde créé, il n’est pas nécessaire
d’affaiblir la dimension sociale de l’être humain ni sa
dimension transcendante, son ouverture au “ Tu ” divin. En effet,
on ne peut pas envisager une relation avec l’environnement isolée
de la relation avec les autres personnes et avec Dieu. Ce serait un
individualisme romantique, déguisé en beauté écologique, et un
enfermement asphyxiant dans l’immanence.
120. Puisque
tout est lié, la défense de la nature n’est pas compatible non
plus avec la justification de l’avortement. Un chemin éducatif
pour accueillir les personnes faibles de notre entourage, qui parfois
dérangent et sont inopportunes, ne semble pas praticable si l’on
ne protège pas l’embryon humain, même si sa venue cause de la
gêne et des difficultés : « Si la sensibilité personnelle et
sociale à l’accueil d’une nouvelle vie se perd, alors d’autres
formes d’accueil utiles à la vie sociale se dessèchent ».[97]
121. Le
développement d’une nouvelle synthèse qui dépasse les fausses
dialectiques des derniers siècles reste en suspens. Le christianisme
lui-même, en se maintenant fidèle à son identité et au trésor de
vérité qu’il a reçu de Jésus-Christ, se repense toujours et se
réexprime dans le dialogue avec les nouvelles situations
historiques, laissant apparaître ainsi son éternelle nouveauté.[98]
Le
relativisme pratique
122. Un
anthropocentrisme dévié donne lieu à un style de vie dévié. Dans
l’Exhortation apostolique Evangelii
gaudium,
j’ai fait référence au relativisme pratique qui caractérise
notre époque, et qui est « encore plus dangereux que le relativisme
doctrinal».[99] Quand
l’être humain se met lui-même au centre, il finit par donner la
priorité absolue à ses intérêts de circonstance, et tout le reste
devient relatif. Par conséquent, il n’est pas étonnant que, avec
l’omniprésence du paradigme technocratique et le culte du pouvoir
humain sans limites, se développe chez les personnes ce relativisme
dans lequel tout ce qui ne sert pas aux intérêts personnels
immédiats est privé d’importance. Il y a en cela une logique qui
permet de comprendre comment certaines attitudes, qui provoquent en
même temps la dégradation de l’environnement et la dégradation
sociale, s’alimentent mutuellement.
123. La
culture du relativisme est la même pathologie qui pousse une
personne à exploiter son prochain et à le traiter comme un pur
objet, l’obligeant aux travaux forcés, ou en faisant de lui un
esclave à cause d’une dette. C’est la même logique qui pousse à
l’exploitation sexuelle des enfants ou à l’abandon des personnes
âgées qui ne servent pas des intérêts personnels. C’est aussi
la logique intérieure de celui qui dit : ‛Laissons les forces
invisibles du marché réguler l’économie, parce que ses impacts
sur la société et sur la nature sont des dommages inévitables’.
S’il n’existe pas de vérités objectives ni de principes solides
hors de la réalisation de projets personnels et de la satisfaction
de nécessités immédiates, quelles limites peuvent alors avoir la
traite des êtres humains, la criminalité organisée, le
narcotrafic, le commerce de diamants ensanglantés et de peaux
d’animaux en voie d’extinction ? N’est-ce pas la même logique
relativiste qui justifie l’achat d’organes des pauvres dans le
but de les vendre ou de les utiliser pour l’expérimentation, ou le
rejet d’enfants parce qu’ils ne répondent pas au désir de leurs
parents ? C’est la même logique du “utilise et jette”, qui
engendre tant de résidus, seulement à cause du désir désordonné
de consommer plus qu’il n’est réellement nécessaire. Par
conséquent, nous ne pouvons pas penser que les projets politiques et
la force de la loi seront suffisants pour que soient évités les
comportements qui affectent l’environnement, car, lorsque la
culture se corrompt et qu’on ne reconnaît plus aucune vérité
objective ni de principes universellement valables, les lois sont
comprises uniquement comme des impositions arbitraires et comme des
obstacles à contourner.
La
nécessité de préserver le travail
124. Dans
n’importe quelle approche d’une écologie intégrale qui n’exclue
pas l’être humain, il est indispensable d’incorporer la valeur
du travail, développée avec grande sagesse par saint Jean-Paul II
dans son Encyclique Laborem exercens. Rappelons que,
selon le récit biblique de la création, Dieu a placé l’être
humain dans le jardin à peine créé (cf. Gn 2, 15)
non seulement pour préserver ce qui existe (protéger) mais aussi
pour le travailler de manière à ce qu’il porte du fruit
(labourer). Ainsi, les ouvriers et les artisans « assurent une
création éternelle » (Si 38, 34). En réalité,
l’intervention humaine qui vise le développement prudent du créé
est la forme la plus adéquate d’en prendre soin, parce qu’elle
implique de se considérer comme instrument de Dieu pour aider à
faire apparaître les potentialités qu’il a lui-même mises dans
les choses : « Le Seigneur a créé les plantes médicinales,
l’homme avisé ne les méprise pas » (Si 38, 4).
125. Si
nous essayons de considérer quelles sont les relations adéquates de
l’être humain avec le monde qui l’entoure, la nécessité d’une
conception correcte du travail émerge, car si nous parlons de la
relation de l’être humain avec les choses, la question du sens et
de la finalité de l’action humaine sur la réalité apparaît.
Nous ne parlons pas seulement du travail manuel ou du travail de la
terre, mais de toute activité qui implique quelque transformation de
ce qui existe, depuis l’élaboration d’une étude sociale
jusqu’au projet de développement technologique. N’importe quelle
forme de travail suppose une conception d’une relation que l’être
humain peut ou doit établir avec son semblable. La spiritualité
chrétienne, avec l’admiration contemplative des créatures que
nous trouvons chez saint François d’Assise, a développé aussi
une riche et saine compréhension du travail, comme nous pouvons le
voir, par exemple, dans la vie du bienheureux Charles de Foucauld et
de ses disciples.
126. Recueillons
aussi quelque chose de la longue tradition du monachisme. Au
commencement, il favorisait, d’une certaine manière, la fuite du
monde, essayant d’échapper à la décadence urbaine. Voilà
pourquoi les moines cherchaient le désert, convaincus que c’était
le lieu propice pour reconnaître la présence de Dieu. Plus tard,
saint Benoît de Nurcie a proposé que ses moines vivent en
communauté, alliant la prière et la lecture au travail manuel (“Ora
et labora’’). Cette introduction du travail manuel, imprégné
de sens spirituel, était révolutionnaire. On a appris à chercher
la maturation et la sanctification dans la compénétration du
recueillement et du travail. Cette manière de vivre le travail nous
rend plus attentifs et plus respectueux de l’environnement, elle
imprègne de saine sobriété notre relation au monde.
127. Nous
disons que « l’homme est l’auteur, le centre et le but de toute
la vie économico-sociale».[100] Malgré
cela, quand la capacité de contempler et de respecter est détériorée
chez l’être humain, les conditions sont créées pour que le sens
du travail soit défiguré.[101] Il
faut toujours se rappeler que l’être humain est « capable d’être
lui-même l’agent responsable de son mieux-être matériel, de son
progrès moral, et de son épanouissement spirituel».[102] Le
travail devrait être le lieu de ce développement personnel multiple
où plusieurs dimensions de la vie sont en jeu : la créativité, la
projection vers l’avenir, le développement des capacités, la mise
en pratique de valeurs, la communication avec les autres, une
attitude d’adoration. C’est pourquoi, dans la réalité sociale
mondiale actuelle, au-delà des intérêts limités des entreprises
et d’une rationalité économique discutable, il est nécessaire
que « l’on continue à se
donner comme objectif prioritaire l’accès au travail...pour
tous».[103]
128. Nous
sommes appelés au travail dès notre création. On ne doit pas
chercher à ce que le progrès technologique remplace de plus en plus
le travail humain, car ainsi l’humanité se dégraderait elle-même.
Le travail est une nécessité, il fait partie du sens de la vie sur
cette terre, chemin de maturation, de développement humain et de
réalisation personnelle. Dans ce sens, aider les pauvres avec de
l’argent doit toujours être une solution provisoire pour affronter
des urgences. Le grand objectif devrait toujours être de leur
permettre d’avoir une vie digne par le travail. Mais l’orientation
de l’économie a favorisé une sorte d’avancée technologique
pour réduire les coûts de production par la diminution des postes
de travail qui sont remplacés par des machines. C’est une
illustration de plus de la façon dont l’action de l’être humain
peut se retourner contre lui-même. La diminution des postes de
travail « a aussi un impact négatif sur le plan économique à
travers l’érosion progressive du “capital social”,
c’est-à-dire de cet ensemble de relations de confiance, de
fiabilité, de respect des règles indispensables à toute
coexistence civile ».[104] En
définitive, « les
coûts humains sont toujours aussi des coûts économiques,
et les dysfonctionnements économiques entraînent toujours des coûts
humains ».[105] Cesser
d’investir dans les personnes pour obtenir plus de profit immédiat
est une très mauvaise affaire pour la société.
129. Pour
qu’il continue d’être possible de donner du travail, il est
impérieux de promouvoir une économie qui favorise la diversité
productive et la créativité entrepreneuriale. Par exemple, il y a
une grande variété de systèmes alimentaires ruraux de petites
dimensions qui continuent à alimenter la plus grande partie de la
population mondiale, en utilisant une faible proportion du territoire
et de l’eau, et en produisant peu de déchets, que ce soit sur de
petites parcelles agricoles, vergers, ou grâce à la chasse, à la
cueillette et la pêche artisanale, entre autres. Les économies
d’échelle, spécialement dans le secteur agricole, finissent par
forcer les petits agriculteurs à vendre leurs terres ou à
abandonner leurs cultures traditionnelles. Les tentatives de certains
pour développer d’autres formes de production plus diversifiées,
finissent par être vaines en raison des difficultés pour entrer sur
les marchés régionaux et globaux, ou parce que l’infrastructure
de vente et de transport est au service des grandes entreprises. Les
autorités ont le droit et la responsabilité de prendre des mesures
de soutien clair et ferme aux petits producteurs et à la variété
de la production. Pour qu’il y ait une liberté économique dont
tous puissent effectivement bénéficier, il peut parfois être
nécessaire de mettre des limites à ceux qui ont plus de moyens et
de pouvoir financier. Une liberté économique seulement déclamée,
tandis que les conditions réelles empêchent
beaucoup de pouvoir y accéder concrètement et que l’accès au
travail se détériore, devient un discours contradictoire qui
déshonore la politique. L’activité d’entreprise, qui est une
vocation noble orientée à produire de la richesse et à améliorer
le monde pour tous, peut être une manière très féconde de
promouvoir la région où elle installe ses projets ; surtout si on
comprend que la création de postes de travail est une partie
incontournable de son service du bien commun.
L’innovation
biologique à partir de la recherche
130. Dans
la vision philosophique et théologique de la création que j’ai
cherché à proposer, il reste clair que la personne humaine, avec la
particularité de sa raison et de sa science, n’est pas un facteur
extérieur qui doit être totalement exclu. Cependant, même si
l’être humain peut intervenir sur le monde végétal et animal et
en faire usage quand c’est nécessaire pour sa vie,
le Catéchisme enseigne
que les expérimentations sur les animaux sont légitimes seulement «
si elles restent dans des limites raisonnables et contribuent à
soigner ou sauver des vies humaines ».[106] Il
rappelle avec fermeté que le pouvoir de l’homme a des limites et
qu’« il est contraire à la dignité humaine de faire souffrir
inutilement les animaux et de gaspiller leurs vies ».[107] Toute
utilisation ou expérimentation « exige un respect religieux de
l’intégrité de la création ».[108]
131. Je
veux recueillir ici la position équilibrée de saint Jean-Paul II,
mettant en évidence les bienfaits des progrès scientifiques et
technologiques, qui « manifestent la noblesse de la vocation de
l’homme à participer de manière responsable à l’action
créatrice de Dieu dans le monde ». Mais en même temps il rappelait
qu’« aucune intervention dans un domaine de l’écosystème ne
peut se dispenser de prendre en considération ses conséquences dans
d’autres domaines ».[109] Il
soulignait que l’Église valorise l’apport de « l’étude et
des applications de la biologie moléculaire, complétée par
d’autres disciplines, comme la génétique et son application
technologique dans l’agriculture et dans l’industrie »[110],
même s’il affirme aussi que cela ne doit pas donner lieu à une «
manipulation génétique menée sans discernement »[111] qui
ignore les effets négatifs de ces interventions. Il n’est pas
possible de freiner la créativité humaine. Si on ne peut interdire
à un artiste de déployer sa capacité créatrice, on ne peut pas
non plus inhiber ceux qui ont des dons spéciaux pour le
développement scientifique et technologique, dont les capacités ont
été données par Dieu pour le service des autres. En même temps,
on ne peut pas cesser de préciser toujours davantage les objectifs,
les effets, le contexte et les limites éthiques de cette activité
humaine qui est une forme de pouvoir comportant de hauts risques.
132. C’est
dans ce cadre que devrait se situer toute réflexion autour de
l’intervention humaine sur les végétaux et les animaux qui
implique aujourd’hui des mutations génétiques générées par la
biotechnologie, dans le but d’exploiter les possibilités présentes
dans la réalité matérielle. Le respect de la foi envers la raison
demande de prêter attention à ce que la science biologique
elle-même, développée de manière indépendante par rapport aux
intérêts économiques, peut enseigner sur les structures
biologiques ainsi que sur leurs possibilités et leurs mutations.
Quoiqu’il en soit, l’intervention légitime est celle qui agit
sur la nature « pour l’aider à s’épanouir dans sa ligne, celle
de la création, celle voulue par Dieu ».[112]
133. Il
est difficile d’émettre un jugement général sur les
développements de transgéniques (OMG), végétaux ou animaux, à
des fins médicales ou agro-pastorales, puisqu’ils peuvent être
très divers entre eux et nécessiter des considérations
différentes. D’autre part, les risques ne sont pas toujours dus à
la technique en soi, mais à son application inadaptée ou excessive.
En réalité, les mutations génétiques ont été, et sont très
souvent, produites par la nature elle-même. Même celles provoquées
par l’intervention humaine ne sont pas un phénomène moderne. La
domestication des animaux, le croisement des espèces et autres
pratiques anciennes et universellement acceptées peuvent entrer dans
ces considérations. Il faut rappeler que le début des
développements scientifiques de céréales transgéniques a été
l’observation d’une bactérie qui produit naturellement et
spontanément une modification du génome d’un végétal. Mais dans
la nature, ces processus ont un rythme lent qui n’est pas
comparable à la rapidité qu’imposent les progrès technologiques
actuels, même quand ces avancées font suite à un développement
scientifique de plusieurs siècles.
134. Même
en l’absence de preuves irréfutables du préjudice que pourraient
causer les céréales transgéniques aux êtres humains, et même si,
dans certaines régions, leur utilisation est à l’origine d’une
croissance économique qui a aidé à résoudre des problèmes, il y
a des difficultés importantes qui ne doivent pas être relativisées.
En de nombreux endroits, suite à l’introduction de ces cultures,
on constate une concentration des terres productives entre les mains
d’un petit nombre, due à « la disparition progressive des petits
producteurs, qui, en conséquence de la perte de terres exploitables,
se sont vus obligés de se retirer de la production
directe».[113] Les
plus fragiles deviennent des travailleurs précaires, et beaucoup
d’employés ruraux finissent par migrer dans de misérables
implantations urbaines. L’extension de la surface de ces cultures
détruit le réseau complexe des écosystèmes, diminue la diversité
productive, et compromet le présent ainsi que l’avenir des
économies régionales. Dans plusieurs pays, on perçoit une tendance
au développement des oligopoles dans la production de grains et
d’autres produits nécessaires à leur culture, et la dépendance
s’aggrave encore avec la production de grains stériles qui
finirait par obliger les paysans à en acheter aux entreprises
productrices.
135. Sans
doute, une attention constante, qui porte à considérer tous les
aspects éthiques concernés, est nécessaire. Pour cela, il faut
garantir une discussion scientifique et sociale qui soit responsable
et large, capable de prendre en compte toute l’information
disponible et d’appeler les choses par leur nom. Parfois, on ne met
pas à disposition toute l’information, qui est sélectionnée
selon les intérêts particuliers, qu’ils soient politiques,
économiques ou idéologiques. De ce fait, il devient difficile
d’avoir un jugement équilibré et prudent sur les diverses
questions, en prenant en compte tous les paramètres pertinents. Il
est nécessaire d’avoir des espaces de discussion où tous ceux
qui, de quelque manière, pourraient être directement ou
indirectement concernés (agriculteurs, consommateurs, autorités,
scientifiques, producteurs de semences, populations voisines des
champs traités, et autres) puissent exposer leurs problématiques ou
accéder à l’information complète et fiable pour prendre des
décisions en faveur du bien commun présent et futur. Il s’agit
d’une question d’environnement complexe dont le traitement exige
un regard intégral sous tous ses aspects, et cela requiert au moins
un plus grand effort pour financer les diverses lignes de recherche,
autonomes et interdisciplinaires, en mesure d’apporter une lumière
nouvelle.
136. D’autre
part, il est préoccupant que certains mouvements écologistes qui
défendent l’intégrité de l’environnement et exigent avec
raison certaines limites à la recherche scientifique, n’appliquent
pas parfois ces mêmes principes à la vie humaine. En général, on
justifie le dépassement de toutes les limites quand on fait des
expérimentations sur les embryons humains vivants. On oublie que la
valeur inaliénable de l’être humain va bien au-delà de son degré
de développement. Du reste, quand la technique ignore les grands
principes éthiques, elle finit par considérer comme légitime
n’importe quelle pratique. Comme nous l’avons vu dans ce
chapitre, la technique séparée de l’éthique sera difficilement
capable d’autolimiter son propre pouvoir.
UNE
ECOLOGIE INTEGRALE
137. Étant
donné que tout est intimement lié, et que les problèmes actuels
requièrent un regard qui tienne compte de tous les aspects de la
crise mondiale, je propose à présent que nous nous arrêtions pour
penser aux diverses composantes d’une écologie intégrale,
qui a clairement des dimensions humaines et sociales.
138. L’écologie
étudie les relations entre les organismes vivants et l’environnement
où ceux-ci se développent. Cela demande de s’asseoir pour penser
et pour discuter avec honnêteté des conditions de vie et de survie
d’une société, pour remettre en question les modèles de
développement, de production et de consommation. Il n’est pas
superflu d’insister sur le fait que tout est lié. Le temps et
l’espace ne sont pas indépendants l’un de l’autre, et même
les atomes ou les particules sous-atomiques ne peuvent être
considérés séparément. Tout comme les différentes composantes de
la planète – physiques, chimiques et biologiques – sont reliées
entre elles, de même les espèces vivantes constituent un réseau
que nous n’avons pas encore fini d’identifier et de comprendre.
Une bonne partie de notre information génétique est partagée par
beaucoup d’êtres vivants. Voilà pourquoi les connaissances
fragmentaires et isolées peuvent devenir une forme d’ignorance si
elles refusent de s’intégrer dans une plus ample vision de la
réalité.
139. Quand
on parle d’“environnement”, on désigne en particulier une
relation, celle qui existe entre la nature et la société qui
l’habite. Cela nous empêche de concevoir la nature comme séparée
de nous ou comme un simple cadre de notre vie. Nous sommes inclus en
elle, nous en sommes une partie, et nous sommes enchevêtrés avec
elle. Les raisons pour lesquelles un endroit est pollué exigent une
analyse du fonctionnement de la société, de son économie, de son
comportement, de ses manières de comprendre la réalité. Étant
donné l’ampleur des changements, il n’est plus possible de
trouver une réponse spécifique et indépendante à chaque partie du
problème. Il est fondamental de chercher des solutions intégrales
qui prennent en compte les interactions des systèmes naturels entre
eux et avec les systèmes sociaux. Il n’y a pas deux crises
séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une
seule et complexe crise socio-environnementale. Les possibilités de
solution requièrent une approche intégrale pour combattre la
pauvreté, pour rendre la dignité aux exclus et simultanément pour
préserver la nature.
140. À
cause de la quantité et de la variété des éléments à prendre en
compte, il devient indispensable, au moment de déterminer l’impact
d’une initiative concrète sur l’environnement, de donner aux
chercheurs un rôle prépondérant et de faciliter leur interaction,
dans une grande liberté académique. Ces recherches constantes
devraient permettre de reconnaître aussi comment les différentes
créatures sont liées et constituent ces unités plus grandes
qu’aujourd’hui nous nommons “écosystèmes”. Nous ne les
prenons pas en compte seulement pour déterminer quelle est leur
utilisation rationnelle, mais en raison de leur valeur intrinsèque
indépendante de cette utilisation. Tout comme chaque organisme est
bon et admirable, en soi, parce qu’il est une créature de Dieu, il
en est de même de l’ensemble harmonieux d’organismes dans un
espace déterminé, fonctionnant comme un système. Bien que nous
n’en ayons pas conscience, nous dépendons de cet ensemble pour
notre propre existence. Il faut rappeler que les écosystèmes
interviennent dans la capture du dioxyde de carbone, dans la
purification de l’eau, dans le contrôle des maladies et des
épidémies, dans la formation du sol, dans la décomposition des
déchets, et dans beaucoup d’autres services que nous oublions ou
ignorons. Beaucoup de personnes, remarquant cela, recommencent à
prendre conscience du fait que nous vivons et agissons à partir
d’une réalité qui nous a été offerte au préalable, qui est
antérieure à nos capacités et à notre existence. Voilà pourquoi,
quand on parle d’une “utilisation durable”, il faut toujours y
inclure la capacité de régénération de chaque écosystème dans
ses divers domaines et aspects.
141. Par
ailleurs, la croissance économique tend à produire des automatismes
et à homogénéiser, en vue de simplifier les procédures et de
réduire les coûts. C’est pourquoi une écologie économique est
nécessaire, capable d’obliger à considérer la réalité de
manière plus ample. En effet, « la protection de l’environnement
doit faire partie intégrante du processus de développement et ne
peut être considérée isolément».[114] Mais
en même temps, devient actuelle la nécessité impérieuse de
l’humanisme qui, en soi, fait appel aux différents savoirs, y
compris à la science économique, pour un regard plus intégral et
plus intégrant. Aujourd’hui l’analyse des problèmes
environnementaux est inséparable de l’analyse des contextes
humains, familiaux, de travail, urbains, et de la relation de chaque
personne avec elle-même qui génère une façon déterminée
d’entrer en rapport avec les autres et avec l’environnement. Il y
a une interaction entre les écosystèmes et entre les divers mondes
de référence sociale, et ainsi, une fois de plus, il s’avère que
« le tout est supérieur à la partie ».[115]
142. Si
tout est lié, l’état des institutions d’une société a aussi
des conséquences sur l’environnement et sur la qualité de vie
humaine : « Toute atteinte à la solidarité et à l’amitié
civique provoque des dommages à l’environnement ».[116] Dans
ce sens, l’écologie sociale est nécessairement institutionnelle
et atteint progressivement les différentes dimensions qui vont du
groupe social primaire, la famille, en passant par la communauté
locale et la Nation, jusqu’à la vie internationale. À l’intérieur
de chacun des niveaux sociaux et entre eux, se développent les
institutions qui régulent les relations humaines. Tout ce qui leur
porte préjudice a des effets nocifs, comme la perte de la liberté,
l’injustice et la violence. Divers pays s’alignent sur un niveau
institutionnel précaire, au prix de la souffrance des populations et
au bénéfice de ceux qui tirent profit de cet état des choses. Tant
dans l’administration de l’État que dans les diverses
expressions de la société civile, ou dans les relations entre
citoyens, on constate très souvent des conduites éloignées des
lois. Celles-ci peuvent être correctement écrites, mais restent
ordinairement lettre morte. Peut-on alors espérer que la législation
et les normes relatives à l’environnement soient réellement
efficaces ? Nous savons, par exemple, que des pays dotés d’une
législation claire pour la protection des forêts continuent d’être
des témoins muets de la violation fréquente de ces lois. En outre,
ce qui se passe dans une région exerce, directement ou
indirectement, des influences sur les autres régions. Ainsi, par
exemple, la consommation de narcotiques dans les sociétés opulentes
provoque une demande constante ou croissante de ces produits
provenant de régions appauvries, où les conduites se corrompent,
des vies sont détruites et où l’environnement finit par se
dégrader.
143. Il
y a, avec le patrimoine naturel, un patrimoine historique, artistique
et culturel, également menacé. Il fait partie de l’identité
commune d’un lieu et il est une base pour construire une ville
habitable. Il ne s’agit pas de détruire, ni de créer de nouvelles
villes soi-disant plus écologiques, où il ne fait pas toujours bon
vivre. Il faut prendre en compte l’histoire, la culture et
l’architecture d’un lieu, en maintenant son identité originale.
Voilà pourquoi l’écologie suppose aussi la préservation des
richesses culturelles de l’humanité au sens le plus large du
terme. D’une manière plus directe, elle exige qu’on fasse
attention aux cultures locales, lorsqu’on analyse les questions en
rapport avec l’environnement, en faisant dialoguer le langage
scientifique et technique avec le langage populaire. C’est la
culture, non seulement dans le sens des monuments du passé mais
surtout dans son sens vivant, dynamique et participatif, qui ne peut
pas être exclue lorsqu’on repense la relation de l’être humain
avec l’environnement.
144. La
vision consumériste de l’être humain, encouragée par les
engrenages de l’économie globalisée actuelle, tend à
homogénéiser les cultures et à affaiblir l’immense variété
culturelle, qui est un trésor de l’humanité. C’est pourquoi
prétendre résoudre toutes les difficultés à travers des
réglementations uniformes ou des interventions techniques, conduit à
négliger la complexité des problématiques locales qui requièrent
l’intervention active des citoyens. Les nouveaux processus en cours
ne peuvent pas toujours être incorporés dans des schémas établis
de l’extérieur, mais ils doivent partir de la culture locale
elle-même. Comme la vie et le monde sont dynamiques, la préservation
du monde doit être flexible et dynamique. Les solutions purement
techniques courent le risque de s’occuper des symptômes qui ne
répondent pas aux problématiques les plus profondes. Il faut y
inclure la perspective des droits des peuples et des cultures, et
comprendre ainsi que le développement d’un groupe social suppose
un processus historique dans un contexte culturel, et requiert de la
part des acteurs sociaux locaux un engagement constant en première
ligne, à partir de leur propre culture. Même la notion
de qualité de vie ne peut être imposée, mais elle doit se
concevoir à l’intérieur du monde des symboles et des habitudes
propres à chaque groupe humain.
145. Beaucoup
de formes hautement concentrées d’exploitation et de dégradation
de l’environnement peuvent non seulement épuiser les ressources de
subsistance locales, mais épuiser aussi les capacités sociales qui
ont permis un mode de vie ayant donné, pendant longtemps, une
identité culturelle ainsi qu’un sens de l’existence et de la
cohabitation. La disparition d’une culture peut être aussi grave
ou plus grave que la disparition d’une espèce animale ou végétale.
L’imposition d’un style de vie hégémonique lié à un mode de
production peut être autant nuisible que l’altération des
écosystèmes.
146. Dans
ce sens, il est indispensable d’accorder une attention spéciale
aux communautés aborigènes et à leurs traditions culturelles.
Elles ne constituent pas une simple minorité parmi d’autres, mais
elles doivent devenir les principaux interlocuteurs, surtout
lorsqu’on développe les grands projets qui affectent leurs
espaces. En effet, la terre n’est pas pour ces communautés un bien
économique, mais un don de Dieu et des ancêtres qui y reposent, un
espace sacré avec lequel elles ont besoin d’interagir pour
soutenir leur identité et leurs valeurs. Quand elles restent sur
leurs territoires, ce sont précisément elles qui les préservent le
mieux. Cependant, en diverses parties du monde, elles font l’objet
de pressions pour abandonner leurs terres afin de les laisser libres
pour des projets d’extraction ainsi que pour des projets agricoles
et de la pêche, qui ne prêtent pas attention à la dégradation de
la nature et de la culture.
147. Pour
parler d’un authentique développement il faut s’assurer qu’une
amélioration intégrale dans la qualité de vie humaine se réalise
; et cela implique d’analyser l’espace où vivent les personnes.
Le cadre qui nous entoure influe sur notre manière de voir la vie,
de sentir et d’agir. En même temps, dans notre chambre, dans notre
maison, sur notre lieu de travail et dans notre quartier, nous
utilisons l’environnement pour exprimer notre identité. Nous nous
efforçons de nous adapter au milieu, et quand un environnement est
désordonné, chaotique ou chargé de pollution visuelle et auditive,
l’excès de stimulations nous met au défi d’essayer de
construire une identité intégrée et heureuse.
148. La
créativité et la générosité sont admirables de la part de
personnes comme de groupes qui sont capables de transcender les
limites de l’environnement, en modifiant les effets négatifs des
conditionnements et en apprenant à orienter leur vie au milieu du
désordre et de la précarité. Par exemple, dans certains endroits
où les façades des édifices sont très abîmées, il y a des
personnes qui, avec beaucoup de dignité, prennent soin de
l’intérieur de leurs logements, ou bien qui se sentent à l’aise
en raison de la cordialité et de l’amitié des gens. La vie
sociale positive et bénéfique des habitants répand une lumière
sur un environnement apparemment défavorable. Parfois, l’écologie
humaine, que les pauvres peuvent développer au milieu de tant de
limitations, est louable. La sensation d’asphyxie, produite par
l’entassement dans des résidences et dans des espaces à haute
densité de population, est contrebalancée si des relations humaines
d’un voisinage convivial sont développées, si des communautés
sont créées, si les limites de l’environnement sont compensées
dans chaque personne qui se sent incluse dans un réseau de communion
et d’appartenance. De cette façon, n’importe quel endroit cesse
d’être un enfer et devient le cadre d’une vie digne.
149. Il
est aussi clair que l’extrême pénurie que l’on vit dans
certains milieux qui manquent d’harmonie, d’espace et de
possibilités d’intégration, facilite l’apparition de
comportements inhumains et la manipulation des personnes par des
organisations criminelles. Pour les habitants des quartiers très
pauvres, le passage quotidien de l’entassement à l’anonymat
social, qui se vit dans les grandes villes, peut provoquer une
sensation de déracinement qui favorise les conduites antisociales et
la violence. Cependant, je veux insister sur le fait que l’amour
est plus fort. Dans ces conditions, beaucoup de personnes sont
capables de tisser des liens d’appartenance et de cohabitation, qui
transforment l’entassement en expérience communautaire où les
murs du moi sont rompus et les barrières de l’égoïsme dépassées.
C’est cette expérience de salut communautaire qui ordinairement
suscite de la créativité pour améliorer un édifice ou un
quartier.[117]
150. Étant
donné la corrélation entre l’espace et la conduite humaine, ceux
qui conçoivent des édifices, des quartiers, des espaces publics et
des villes, ont besoin de l’apport de diverses disciplines qui
permettent de comprendre les processus, le symbolisme et les
comportements des personnes. La recherche de la beauté de la
conception ne suffit pas, parce qu’il est plus précieux encore de
servir un autre type de beauté : la qualité de vie des personnes,
leur adaptation à l’environnement, la rencontre et l’aide
mutuelle. Voilà aussi pourquoi il est si important que les
perspectives des citoyens complètent toujours l’analyse de la
planification urbaine.
151. Il
faut prendre soin des lieux publics, du cadre visuel et des
signalisations urbaines qui accroissent notre sens d’appartenance,
notre sensation d’enracinement, notre sentiment d’“être à la
maison”, dans la ville qui nous héberge et nous unit. Il est
important que les différentes parties d’une ville soient bien
intégrées et que les habitants puissent avoir une vision
d’ensemble, au lieu de s’enfermer dans un quartier en se privant
de vivre la ville tout entière comme un espace vraiment partagé
avec les autres. Toute intervention dans le paysage urbain ou rural
devrait considérer que les différents éléments d’un lieu
forment un tout perçu par les habitants comme un cadre cohérent
avec sa richesse de sens. Ainsi les autres cessent d’être des
étrangers, et peuvent se sentir comme faisant partie d’un “nous”
que nous construisons ensemble. Pour la même raison, tant dans
l’environnement urbain que dans l’environnement rural, il
convient de préserver certains lieux où sont évitées les
interventions humaines qui les modifient constamment.
152. Le
manque de logements est grave dans de nombreuses parties du monde,
tant dans les zones rurales que dans les grandes villes, parce que
souvent les budgets étatiques couvrent seulement une petite partie
de la demande. Non seulement les pauvres, mais aussi une grande
partie de la société rencontrent de sérieuses difficultés pour
accéder à son propre logement. La possession d’un logement est
très étroitement liée à la dignité des personnes et au
développement des familles. C’est une question centrale de
l’écologie humaine. Si déjà des agglomérations chaotiques de
maisons précaires se sont développées dans un lieu, il s’agit
surtout d’urbaniser ces quartiers, non d’éradiquer et
d’expulser. Quand les pauvres vivent dans des banlieues polluées
ou dans des agglomérations dangereuses, « si l’on doit procéder
à leur déménagement [...], pour ne pas ajouter la souffrance à la
souffrance, il est nécessaire de fournir une information adéquate
et préalable, d’offrir des alternatives de logements dignes et
d’impliquer directement les intéressés ».[118] En
même temps, la créativité devrait amener à intégrer les
quartiers précaires dans une ville accueillante : « Comme elles
sont belles les villes qui dépassent la méfiance malsaine et
intègrent ceux qui sont différents, et qui font de cette
intégration un nouveau facteur de développement ! Comme elles sont
belles les villes qui, même dans leur architecture, sont remplies
d’espaces qui regroupent, mettent en relation et favorisent la
reconnaissance de l’autre ! ».[119]
153. La
qualité de vie dans les villes est étroitement liée au transport,
qui est souvent une cause de grandes souffrances pour les habitants.
Dans les villes, circulent beaucoup d’automobiles utilisées
seulement par une ou deux personnes, raison pour laquelle la
circulation devient difficile, le niveau de pollution élevé,
d’énormes quantités d’énergie non renouvelable sont consommées
et la construction d’autoroutes supplémentaires se révèle
nécessaire ainsi que des lieux de stationnement qui nuisent au tissu
urbain. Beaucoup de spécialistes sont unanimes sur la nécessité
d’accorder la priorité au transport public. Mais certaines mesures
nécessaires seront à grand-peine acceptées pacifiquement par la
société sans des améliorations substantielles de ce transport,
qui, dans beaucoup de villes, est synonyme de traitement indigne
infligé aux personnes à cause de l’entassement, de désagréments
ou de la faible fréquence des services et de l’insécurité.
154. La
reconnaissance de la dignité particulière de l’être humain
contraste bien des fois avec la vie chaotique que les personnes
doivent mener dans nos villes. Mais cela ne devrait pas détourner
l’attention de l’état d’abandon et d’oubli dont souffrent
aussi certains habitants des zones rurales, où les services
essentiels n’arrivent pas, et où se trouvent des travailleurs
réduits à des situations d’esclavage, sans droits ni perspectives
d’une vie plus digne.
155. L’écologie
humaine implique aussi quelque chose de très profond : la relation
de la vie de l’être humain avec la loi morale inscrite dans sa
propre nature, relation nécessaire pour pouvoir créer un
environnement plus digne. Benoît XVI affirmait qu’il existe une
“écologie de l’homme” parce que « l’homme aussi possède
une nature qu’il doit respecter et qu’il ne peut manipuler à
volonté ».[120] Dans
ce sens, il faut reconnaître que notre propre corps nous met en
relation directe avec l’environnement et avec les autres êtres
vivants. L’acceptation de son propre corps comme don de Dieu est
nécessaire pour accueillir et pour accepter le monde tout entier
comme don du Père et maison commune ; tandis qu’une logique de
domination sur son propre corps devient une logique, parfois subtile,
de domination sur la création. Apprendre à recevoir son propre
corps, à en prendre soin et à en respecter les significations, est
essentiel pour une vraie écologie humaine. La valorisation de son
propre corps dans sa féminité ou dans sa masculinité est aussi
nécessaire pour pouvoir se reconnaître soi-même dans la rencontre
avec celui qui est différent. De cette manière, il est possible
d’accepter joyeusement le don spécifique de l’autre, homme ou
femme, œuvre du Dieu créateur, et de s’enrichir réciproquement.
Par conséquent, l’attitude qui prétend « effacer la différence
sexuelle parce qu’elle ne sait plus s’y confronter »[121],
n’est pas saine.
156. L’écologie
intégrale est inséparable de la notion de bien commun, un principe
qui joue un rôle central et unificateur dans l’éthique sociale.
C’est « l’ensemble des conditions sociales qui permettent, tant
aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur
perfection d’une façon plus totale et plus aisée ».[122]
157. Le
bien commun présuppose le respect de la personne humaine comme
telle, avec des droits fondamentaux et inaliénables ordonnés à son
développement intégral. Le bien commun exige aussi le bien-être
social et le développement des divers groupes intermédiaires, selon
le principe de subsidiarité. Parmi ceux-ci, la famille se distingue
spécialement comme cellule de base de la société. Finalement, le
bien commun requiert la paix sociale, c’est-à-dire la stabilité
et la sécurité d’un certain ordre, qui ne se réalise pas sans
une attention particulière à la justice distributive, dont la
violation génère toujours la violence. Toute la société – et en
elle, d’une manière spéciale l’État, – a l’obligation de
défendre et de promouvoir le bien commun.
158. Dans
les conditions actuelles de la société mondiale, où il y a tant
d’inégalités et où sont toujours plus nombreuses les personnes
marginalisées, privées des droits humains fondamentaux, le principe
du bien commun devient immédiatement comme conséquence logique et
inéluctable, un appel à la solidarité et à une option
préférentielle pour les plus pauvres. Cette option implique de
tirer les conséquences de la destination commune des biens de la
terre, mais, comme j’ai essayé de l’exprimer dans l’Exhortation
apostolique Evangelii
gaudium,[123] elle
exige de considérer avant tout l’immense dignité du pauvre à la
lumière des convictions de foi les plus profondes. Il suffit de
regarder la réalité pour comprendre que cette option est
aujourd’hui une exigence éthique fondamentale pour la réalisation
effective du bien commun.
159. La
notion de bien commun inclut aussi les générations futures. Les
crises économiques internationales ont montré de façon crue les
effets nuisibles qu’entraîne la méconnaissance d’un destin
commun, dont ceux qui viennent derrière nous ne peuvent pas être
exclus. On ne peut plus parler de développement durable sans une
solidarité intergénérationnelle. Quand nous pensons à la
situation dans laquelle nous laissons la planète aux générations
futures, nous entrons dans une autre logique, celle du don gratuit
que nous recevons et que nous communiquons. Si la terre nous est
donnée, nous ne pouvons plus penser seulement selon un critère
utilitariste d’efficacité et de productivité pour le bénéfice
individuel. Nous ne parlons pas d’une attitude optionnelle, mais
d’une question fondamentale de justice, puisque la terre que nous
recevons appartient aussi à ceux qui viendront. Les Évêques du
Portugal ont exhorté à assumer ce devoir de justice : «
L’environnement se situe dans la logique de la réception. C’est
un prêt que chaque génération reçoit et doit transmettre à la
génération suivante».[124] Une
écologie intégrale possède cette vision ample.
160. Quel
genre de monde voulons-nous laisser à ceux qui nous succèdent, aux
enfants qui grandissent ? Cette question ne concerne pas seulement
l’environnement de manière isolée, parce qu’on ne peut pas
poser la question de manière fragmentaire. Quand nous nous
interrogeons sur le monde que nous voulons laisser, nous parlons
surtout de son orientation générale, de son sens, de ses valeurs.
Si cette question de fond n’est pas prise en compte, je ne crois
pas que nos préoccupations écologiques puissent obtenir des effets
significatifs. Mais si cette question est posée avec courage, elle
nous conduit inexorablement à d’autres interrogations très
directes : pour quoi passons-nous en ce monde, pour quoi venons-nous
à cette vie, pour quoi travaillons-nous et luttons-nous, pour quoi
cette terre a-t-elle besoin de nous ? C’est pourquoi, il ne suffit
plus de dire que nous devons nous préoccuper des générations
futures. Il est nécessaire de réaliser que ce qui est en jeu, c’est
notre propre dignité. Nous sommes, nous-mêmes, les premiers à
avoir intérêt à laisser une planète habitable à l’humanité
qui nous succédera. C’est un drame pour nous-mêmes, parce que
cela met en crise le sens de notre propre passage sur cette terre.
161. Les
prévisions catastrophistes ne peuvent plus être considérées avec
mépris ni ironie. Nous pourrions laisser trop de décombres, de
déserts et de saletés aux prochaines générations. Le rythme de
consommation, de gaspillage et de détérioration de l’environnement
a dépassé les possibilités de la planète, à tel point que le
style de vie actuel, parce qu’il est insoutenable, peut seulement
conduire à des catastrophes, comme, de fait, cela arrive déjà
périodiquement dans diverses régions. L’atténuation des effets
de l’actuel déséquilibre dépend de ce que nous ferons dans
l’immédiat, surtout si nous pensons à la responsabilité que ceux
qui devront supporter les pires conséquences nous attribueront.
162. La
difficulté de prendre au sérieux ce défi est en rapport avec une
détérioration éthique et culturelle, qui accompagne la
détérioration écologique. L’homme et la femme du monde
post-moderne courent le risque permanent de devenir profondément
individualistes, et beaucoup de problèmes sociaux sont liés à la
vision égoïste actuelle axée sur l’immédiateté, aux crises des
liens familiaux et sociaux, aux difficultés de la reconnaissance de
l’autre. Bien des fois, il y a une consommation des parents,
immédiate et excessive, qui affecte leurs enfants de plus en plus de
difficultés pour acquérir une maison et pour fonder une famille. En
outre, notre incapacité à penser sérieusement aux générations
futures est liée à notre incapacité à élargir notre conception
des intérêts actuels et à penser à ceux qui demeurent exclus du
développement. Ne pensons pas seulement aux pauvres de l’avenir,
souvenons-nous déjà des pauvres d’aujourd’hui, qui ont peu
d’années de vie sur cette terre et ne peuvent pas continuer
d’attendre. C’est pourquoi, « au-delà d’une loyale solidarité
intergénérationnelle, l’urgente nécessité morale
d’une solidarité
intra-générationnelle renouvelée
doit être réaffirmée ».[125]
QUELQUES
LIGNES D’ORIENTATION
ET D’ACTION
ET D’ACTION
163. J’ai
cherché à analyser la situation actuelle de l’humanité, tant
dans les fissures qui s’observent sur la planète que nous
habitons, que dans les causes plus profondément humaines de la
dégradation de l’environnement. Bien que cette observation de la
réalité nous montre déjà en soi la nécessité d’un changement
de direction, et nous suggère certaines actions, essayons à présent
de tracer les grandes lignes de dialogue à même de nous aider à
sortir de la spirale d’autodestruction dans laquelle nous nous
enfonçons.
164. Depuis
la moitié du siècle dernier, après avoir surmonté beaucoup de
difficultés, on a eu de plus en plus tendance à concevoir la
planète comme une patrie, et l’humanité comme un peuple qui
habite une maison commune. Que le monde soit interdépendant ne
signifie pas seulement comprendre que les conséquences
préjudiciables des modes de vie, de production et de consommation
affectent tout le monde, mais surtout faire en sorte que les
solutions soient proposées dans une perspective globale, et pas
seulement pour défendre les intérêts de certains pays.
L’interdépendance nous oblige à penser à un monde
unique, à un projet commun. Mais la même intelligence que l’on
déploie pour un impressionnant développement technologique, ne
parvient pas à trouver des formes efficaces de gestion
internationale pour résoudre les graves difficultés
environnementales et sociales. Pour affronter les problèmes de fond
qui ne peuvent pas être résolus par les actions de pays isolés, un
consensus mondial devient indispensable, qui conduirait, par exemple,
à programmer une agriculture durable et diversifiée, à développer
des formes d’énergies renouvelables et peu polluantes, à
promouvoir un meilleur rendement énergétique, une gestion plus
adéquate des ressources forestières et marines, à assurer l’accès
à l’eau potable pour tous.
165. Nous
savons que la technologie reposant sur les combustibles fossiles très
polluants – surtout le charbon, mais aussi le pétrole et, dans une
moindre mesure, le gaz – a besoin d’être remplacée,
progressivement et sans retard. Tant qu’il n’y aura pas un
développement conséquent des énergies renouvelables, développement
qui devrait être déjà en cours, il est légitime de choisir
l’alternative la moins nuisible et de recourir à des solutions
transitoires. Cependant, on ne parvient pas, dans la communauté
internationale, à des accords suffisants sur la responsabilité de
ceux qui doivent supporter les coûts de la transition énergétique.
Ces dernières décennies, les questions d’environnement ont généré
un large débat public qui a fait grandir dans la société civile
des espaces pour de nombreux engagements et un généreux dévouement.
La politique et l’entreprise réagissent avec lenteur, loin d’être
à la hauteur des défis mondiaux. En ce sens, alors que l’humanité
de l’époque post-industrielle sera peut-être considérée comme
l’une des plus irresponsables de l’histoire, il faut espérer que
l’humanité du début du XXIème siècle pourra
rester dans les mémoires pour avoir assumé avec générosité ses
graves responsabilités.
166. Le
mouvement écologique mondial a déjà fait un long parcours, enrichi
par les efforts de nombreuses organisations de la société civile.
Il n’est pas possible ici de les mentionner toutes, ni de retracer
l’histoire de leurs apports. Mais grâce à un fort engagement, les
questions environnementales ont été de plus en plus présentes dans
l’agenda public et sont devenues une invitation constante à penser
à long terme. Cependant, les Sommets mondiaux de ces dernières
années sur l’environnement n’ont pas répondu aux attentes parce
que, par manque de décision politique, ils ne sont pas parvenus à
des accords généraux, vraiment significatifs et efficaces, sur
l’environnement.
167. Il
convient de mettre l’accent sur le Sommet planète Terre, réuni en
1992 à Rio de Janeiro. Il y a été proclamé que « les êtres
humains sont au centre des préoccupations relatives au développement
durable».[126] Reprenant
des éléments de la Déclaration de Stockholm (1972), il a consacré
la coopération internationale pour préserver l’écosystème de la
terre entière, l’obligation pour celui qui pollue d’en assumer
économiquement la charge, le devoir d’évaluer l’impact sur
l’environnement de toute entreprise ou projet. Il a proposé comme
objectif de stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre
dans l’atmosphère pour inverser la tendance au réchauffement
global. Il a également élaboré un agenda avec un programme
d’action et un accord sur la diversité biologique, il a déclaré
des principes en matière de forêts. Même si ce Sommet a vraiment
été innovateur et prophétique pour son époque, les accords n’ont
été que peu mis en œuvre parce qu’aucun mécanisme adéquat de
contrôle, de révision périodique et de sanction en cas de
manquement, n’avait été établi. Les principes énoncés
demandent encore des moyens, efficaces et souples, de mise en œuvre
pratique.
168. Parmi
les expériences positives, on peut mentionner, par exemple, la
Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers
de déchets dangereux et leur élimination, avec un système de
déclaration, de standards et de contrôles ; on peut citer également
la Convention sur le commerce international des espèces de faune et
de flore sauvages menacées d’extinction, qui inclut des missions
de vérification de son respect effectif. Grâce à la Convention de
Vienne pour la protection de la couche d’ozone, et sa mise en œuvre
à travers le Protocole de Montréal et ses amendements, le problème
de l’amincissement de cette couche semble être entré dans une
phase de solution.
169. Pour
ce qui est de la protection de la diversité biologique et en ce qui
concerne la désertification, les avancées ont été beaucoup moins
significatives. S’agissant du changement climatique, les avancées
sont hélas très médiocres. La réduction des gaz à effet de serre
exige honnêteté, courage et responsabilité, surtout de la part des
pays les plus puissants et les plus polluants. La Conférence des
Nations Unies sur le développement durable, dénommée Rio+20 (Rio
de Janeiro 2012), a émis un long et inefficace Document final. Les
négociations internationales ne peuvent pas avancer de manière
significative en raison de la position des pays qui mettent leurs
intérêts nationaux au dessus du bien commun général. Ceux qui
souffriront des conséquences que nous tentons de dissimuler
rappelleront ce manque de conscience et de responsabilité. Alors que
se préparait cette Encyclique, le débat a atteint une intensité
particulière. Nous, les croyants, nous ne pouvons pas cesser de
demander à Dieu qu’il y ait des avancées positives dans les
discussions actuelles, de manière à ce que les générations
futures ne souffrent pas des conséquences d’ajournements
imprudents.
170. Certaines
des stratégies de basse émission de gaz polluants cherchent
l’internationalisation des coûts environnementaux, avec le risque
d’imposer aux pays de moindres ressources de lourds engagements de
réduction des émissions, comparables à ceux des pays les plus
industrialisés. L’imposition de ces mesures porte préjudice aux
pays qui ont le plus besoin de développement. Une nouvelle injustice
est ainsi ajoutée sous couvert de protection de l’environnement.
Comme toujours, le fil est rompu à son point le plus faible. Étant
donné que les effets du changement climatique se feront sentir
pendant longtemps, même si des mesures strictes sont prises
maintenant, certains pays aux maigres ressources auront besoin d’aide
pour s’adapter aux effets qui déjà se produisent et qui affectent
leurs économies. Il reste vrai qu’il y a des responsabilités
communes mais différenciées, simplement parce que, comme l’ont
relevé les Évêques de Bolivie, « les pays qui ont bénéficié
d’un degré élevé d’industrialisation, au prix d’une énorme
émission de gaz à effet de serre, ont une plus grande
responsabilité dans l’apport de la solution aux problèmes qu’ils
ont causés ».[127]
171. La
stratégie d’achat et de vente de “crédits de carbone” peut
donner lieu à une nouvelle forme de spéculation, et cela ne
servirait pas à réduire l’émission globale des gaz polluants. Ce
système semble être une solution rapide et facile, sous l’apparence
d’un certain engagement pour l’environnement, mais qui
n’implique, en aucune manière, de changement radical à la hauteur
des circonstances. Au contraire, il peut devenir un expédient qui
permet de soutenir la sur-consommation de certains pays et secteurs.
172. Les
pays pauvres doivent avoir comme priorité l’éradication de la
misère et le développement social de leurs habitants ; bien qu’ils
doivent analyser le niveau de consommation scandaleux de certains
secteurs privilégiés de leur population et contrôler la
corruption. Il est vrai aussi qu’ils doivent développer des formes
moins polluantes de production d’énergie, mais pour cela ils
doivent pouvoir compter sur l’aide des pays qui ont connu une forte
croissance au prix de la pollution actuelle de la planète.
L’exploitation directe de l’abondante énergie solaire demande
que des mécanismes et des subsides soient établis, de sorte que les
pays en développement puissent accéder au transfert de
technologies, à l’assistance technique, et aux ressources
financières, mais toujours en faisant attention aux conditions
concrètes, puisque « on n’évalue pas toujours de manière
adéquate la compatibilité des infrastructures avec le contexte pour
lequel elles ont été conçues ».[128] Les
coûts seraient faibles si on les comparait aux risques du changement
climatique. De toute manière, c’est avant tout une décision
éthique, fondée sur la solidarité entre tous les peuples.
173. Étant
donnée la fragilité des instances locales, des accords
internationaux sont urgents, qui soient respectés pour intervenir de
manière efficace. Les relations entre les États doivent sauvegarder
la souveraineté de chacun, mais aussi établir des chemins
consensuels pour éviter des catastrophes locales qui finiraient par
toucher tout le monde. Il manque de cadres régulateurs généraux
qui imposent des obligations, et qui empêchent des agissements
intolérables, comme le fait que certaines entreprises et certains
pays puissants transfèrent dans d’autres pays des déchets et des
industries hautement polluants.
174. Mentionnons
aussi le système de gestion des océans. En effet, même s’il y a
eu plusieurs conventions internationales et régionales,
l’éparpillement et l’absence de mécanismes sévères de
réglementation, de contrôle et de sanction finissent par miner tous
les efforts. Le problème croissant des déchets marins et de la
protection des zones marines au-delà des frontières nationales
continue de représenter un défi particulier. En définitive, il
faut un accord sur les régimes de gestion, pour toute la gamme de ce
qu’on appelle les “biens communs globaux”.
175. La
même logique qui entrave la prise de décisions drastiques pour
inverser la tendance au réchauffement global, ne permet pas non plus
d’atteindre l’objectif d’éradiquer la pauvreté. Il faut une
réaction globale plus responsable, qui implique en même temps la
lutte pour la réduction de la pollution et le développement des
pays et des régions pauvres. Le XXIème siècle,
alors qu’il maintient un système de gouvernement propre aux
époques passées, est le théâtre d’un affaiblissement du pouvoir
des États nationaux, surtout parce que la dimension économique et
financière, de caractère transnational, tend à prédominer sur la
politique. Dans ce contexte, la maturation d’institutions
internationales devient indispensable, qui doivent être plus fortes
et efficacement organisées, avec des autorités désignées
équitablement par accord entre les gouvernements nationaux, et
dotées de pouvoir pour sanctionner. Comme l’a affirmé Benoît XVI
dans la ligne déjà développée par la doctrine sociale de l’Eglise
: « Pour le gouvernement de l’économie mondiale, pour assainir
les économies frappées par la crise, pour prévenir son aggravation
et de plus grands déséquilibres, pour procéder à un souhaitable
désarmement intégral, pour arriver à la sécurité alimentaire et
à la paix, pour assurer la protection de l’environnement et pour
réguler les flux migratoires, il est urgent que soit mise en place
une véritable Autorité
politique mondiale telle
qu’elle a déjà été esquissée par mon Prédécesseur, [saint]
Jean XXIII».[129] Dans
cette perspective, la diplomatie acquiert une importance inédite, en
vue de promouvoir des stratégies internationales anticipant les
problèmes plus graves qui finissent par affecter chacun.
176. Non
seulement il y a des gagnants et des perdants entre les pays, mais
aussi entre les pays pauvres, où diverses responsabilités doivent
être identifiées. Pour cela, les questions concernant
l’environnement et le développement économique ne peuvent plus se
poser seulement à partir des différences entre pays, mais demandent
qu’on prête attention aux politiques nationales et locales.
177. Face
à la possibilité d’une utilisation irresponsable des capacités
humaines, planifier, coordonner, veiller, et sanctionner sont des
fonctions impératives de chaque État. Comment la société
prépare-t-elle et protège-t-elle son avenir dans un contexte de
constantes innovations technologiques ? Le droit, qui établit les
règles des comportements acceptables à la lumière du bien commun,
est un facteur qui fonctionne comme un modérateur important. Les
limites qu’une société saine, mature et souveraine doit imposer
sont liées à la prévision, à la précaution, aux régulations
adéquates, à la vigilance dans l’application des normes, à la
lutte contre la corruption, aux actions de contrôle opérationnel
sur les effets émergents non désirés des processus productifs, et
à l’intervention opportune face aux risques incertains ou
potentiels. Il y a une jurisprudence croissante visant à diminuer
les effets polluants des activités des entreprises. Mais le cadre
politique et institutionnel n’est pas là seulement pour éviter
les mauvaises pratiques, mais aussi pour encourager les bonnes
pratiques, pour stimuler la créativité qui cherche de nouvelles
voies, pour faciliter les initiatives personnelles et collectives.
178. Le
drame de l’"immédiateté" politique, soutenue aussi par
des populations consuméristes, conduit à la nécessité de produire
de la croissance à court terme. Répondant à des intérêts
électoraux, les gouvernements ne prennent pas facilement le risque
de mécontenter la population avec des mesures qui peuvent affecter
le niveau de consommation ou mettre en péril des investissements
étrangers. La myopie de la logique du pouvoir ralentit l’intégration
de l’agenda environnemental aux vues larges, dans l’agenda public
des gouvernements. On oublie ainsi que « le temps est supérieur à
l’espace»,[130] que
nous sommes toujours plus féconds quand nous nous préoccupons plus
d’élaborer des processus que de nous emparer des espaces de
pouvoir. La grandeur politique se révèle quand, dans les moments
difficiles, on œuvre pour les grands principes et en pensant au bien
commun à long terme. Il est très difficile pour le pouvoir
politique d’assumer ce devoir dans un projet de Nation.
179. En
certains lieux, se développent des coopératives pour l’exploitation
d’énergies renouvelables, qui permettent l’auto suffisance
locale, et même la vente des excédents. Ce simple exemple montre
que l’instance locale peut faire la différence alors que l’ordre
mondial existant se révèle incapable de prendre ses
responsabilités. En effet, on peut à ce niveau susciter une plus
grande responsabilité, un fort sentiment communautaire, une capacité
spéciale de protection et une créativité plus généreuse, un
amour profond pour sa terre ; là aussi, on pense à ce qu’on
laisse aux enfants et aux petits-enfants. Ces valeurs ont un
enracinement notable dans les populations aborigènes. Étant donné
que le droit se montre parfois insuffisant en raison de la
corruption, il faut que la décision politique soit incitée par la
pression de la population. La société, à travers des organismes
non gouvernementaux et des associations intermédiaires, doit obliger
les gouvernements à développer des normes, des procédures et des
contrôles plus rigoureux. Si les citoyens ne contrôlent pas le
pouvoir politique – national, régional et municipal – un
contrôle des dommages sur l’environnement n’est pas possible non
plus. D’autre part, les législations des municipalités peuvent
être plus efficaces s’il y a des accords entre populations
voisines pour soutenir les mêmes politiques environnementales.
180. On
ne peut pas penser à des recettes uniformes, parce que chaque pays
ou région a des problèmes et des limites spécifiques. Il est aussi
vrai que le réalisme politique peut exiger des mesures et des
technologies de transition, à condition qu’elles soient toujours
accompagnées par le projet et par l’acceptation d’engagements
progressifs contraignants. Mais, tant au niveau national que local il
reste beaucoup à faire, comme, par exemple, promouvoir des formes
d’économies d’énergie. Ceci implique de favoriser des modes de
production industrielle ayant une efficacité énergétique maximale
et utilisant moins de matière première, retirant du marché les
produits peu efficaces du point de vue énergétique, ou plus
polluants. On peut aussi mentionner une bonne gestion des transports,
ou des formes de construction ou de réfection d’édifices qui
réduisent leur consommation énergétique et leur niveau de
pollution. D’autre part, l’action politique locale peut
s’orienter vers la modification de la consommation, le
développement d’une économie des déchets et du recyclage, la
protection des espèces et la programmation d’une agriculture
diversifiée avec la rotation des cultures. Il est possible
d’encourager l’amélioration agricole de régions pauvres par les
investissements dans des infrastructures rurales, dans l’organisation
du marché local ou national, dans des systèmes d’irrigation, dans
le développement de techniques agricoles durables. On peut faciliter
des formes de coopération ou d’organisation communautaire qui
défendent les intérêts des petits producteurs et préservent les
écosystèmes locaux de la déprédation. Il y a tant de choses que
l’on peut faire !
181. La
continuité est indispensable parce que les politiques relatives au
changement climatique et à la sauvegarde de l’environnement ne
peuvent pas changer chaque fois que change un gouvernement. Les
résultats demandent beaucoup de temps et supposent des coûts
immédiats, avec des effets qui ne seront pas visibles au cours du
mandat du gouvernement concerné. C’est pourquoi sans la pression
de la population et des institutions, il y aura toujours de la
résistance à intervenir, plus encore quand il y aura des urgences à
affronter. Qu’un homme politique assume ces responsabilités avec
les coûts que cela implique, ne répond pas à la logique
d’efficacité et d’immédiateté de l’économie ni à celle de
la politique actuelle ; mais s’il ose le faire, cela le conduira à
reconnaître la dignité que Dieu lui a donnée comme homme, et il
laissera dans l’histoire un témoignage de généreuse
responsabilité. Il faut accorder une place prépondérante à une
saine politique, capable de réformer les institutions, de les
coordonner et de les doter de meilleures pratiques qui permettent de
vaincre les pressions et les inerties vicieuses. Cependant, il faut
ajouter que les meilleurs mécanismes finissent par succomber quand
manquent les grandes finalités, les valeurs, une compréhension
humaniste et riche de sens qui donnent à chaque société une
orientation noble et généreuse.
182. La
prévision de l’impact sur l’environnement des initiatives et des
projets requiert des processus politiques transparents et soumis au
dialogue, alors que la corruption, qui cache le véritable impact
environnemental d’un projet en échange de faveurs, conduit
habituellement à des accords fallacieux au sujet desquels on évite
information et large débat.
183. Une
étude de l’impact sur l’environnement ne devrait pas être
postérieure à l’élaboration d’un projet de production ou d’une
quelconque politique, plan ou programme à réaliser. Il faut qu’elle
soit insérée dès le début, et élaborée de manière
interdisciplinaire, transparente et indépendante de toute pression
économique ou politique. Elle doit être en lien avec l’analyse
des conditions de travail et l’analyse des effets possibles, entre
autres, sur la santé physique et mentale des personnes, sur
l’économie locale, sur la sécurité. Les résultats économiques
pourront être ainsi déduits de manière plus réaliste, prenant en
compte les scénarios possibles et prévoyant éventuellement la
nécessité d’un plus grand investissement pour affronter les
effets indésirables qui peuvent être corrigés. Il est toujours
nécessaire d’arriver à un consensus entre les différents acteurs
sociaux, qui peuvent offrir des points de vue, des solutions et des
alternatives différents. Mais à la table de discussion, les
habitants locaux doivent avoir une place privilégiée, eux qui se
demandent ce qu’ils veulent pour eux et pour leurs enfants, et qui
peuvent considérer les objectifs qui transcendent l’intérêt
économique immédiat. Il faut cesser de penser en terme
d’“interventions” sur l’environnement, pour élaborer des
politiques conçues et discutées par toutes les parties intéressées.
La participation requiert que tous soient convenablement informés
sur les divers aspects ainsi que sur les différents risques et
possibilités ; elle ne se limite pas à la décision initiale d’un
projet, mais concerne aussi les actions de suivi et de surveillance
constante. La sincérité et la vérité sont nécessaires dans les
discussions scientifiques et politiques, qui ne doivent pas se
limiter à considérer ce qui est permis ou non par la législation.
184. Quand
d’éventuels risques pour l’environnement, qui affectent le bien
commun, présent et futur, apparaissent, cette situation exige que «
les décisions soient fondées sur une confrontation entre les
risques et les bénéfices envisageables pour tout choix alternatif
possible ».[131] Cela
vaut surtout si un projet peut entraîner un accroissement de
l’utilisation des ressources naturelles, des émissions ou des
rejets, de la production de déchets, ou une modification
significative du paysage, de l’habitat des espèces protégées, ou
d’un espace public. Certains projets qui ne sont pas suffisamment
analysés peuvent affecter profondément la qualité de vie dans un
milieu pour des raisons très diverses, comme une pollution
acoustique non prévue, la réduction du champ visuel, la perte de
valeurs culturelles, les effets de l’utilisation de l’énergie
nucléaire. La culture consumériste, qui donne priorité au court
terme et à l’intérêt privé, peut encourager des procédures
trop rapides ou permettre la dissimulation d’information.
185. Dans
toute discussion autour d’une initiative, une série de questions
devrait se poser en vue de discerner si elle offrira ou non un
véritable développement intégral : Pour quoi ? Par quoi ? Où ?
Quand ? De quelle manière ? Pour qui ? Quels sont les risques ? À
quel coût ? Qui paiera les coûts et comment le fera-t-il ? Dans ce
discernement, certaines questions doivent avoir la priorité. Par
exemple, nous savons que l’eau est une ressource limitée et
indispensable, et y avoir accès est un droit fondamental qui
conditionne l’exercice des autres droits humains. Ceci est
indubitable et conditionne toute analyse de l’impact
environnemental d’une région.
186. Dans
la Déclaration de Rio de 1992, il est affirmé : « En cas de risque
de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude
scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à
plus tard l’adoption de mesures effectives »[132] qui
empêcheraient la dégradation de l’environnement. Ce principe de
précaution permet la protection des plus faibles, qui disposent de
peu de moyens pour se défendre et pour apporter des preuves
irréfutables. Si l’information objective conduit à prévoir un
dommage grave et irréversible, bien qu’il n’y ait pas de preuve
indiscutable, tout projet devra être arrêté ou modifié. Ainsi, on
inverse la charge de la preuve, puisque dans ce cas il faut apporter
une démonstration objective et indiscutable que l’activité
proposée ne va pas générer de graves dommages à l’environnement
ou à ceux qui y habitent.
187. Cela
n’entraîne pas qu’il faille s’opposer à toute innovation
technologique qui permette d’améliorer la qualité de vie d’une
population. Mais, dans tous les cas, il doit toujours être bien
établi que la rentabilité ne peut pas être l’unique élément à
prendre en compte et que, au moment où apparaissent de nouveaux
critères de jugement à partir de l’évolution de l’information,
il devrait y avoir une nouvelle évaluation avec la participation de
toutes les parties intéressées. Le résultat de la discussion
pourrait être la décision de ne pas avancer dans un projet, mais
pourrait être aussi sa modification ou l’élaboration de
propositions alternatives.
188. Dans
certaines discussions sur des questions liées à l’environnement,
il est difficile de parvenir à un consensus. Encore une fois je
répète que l’Église n’a pas la prétention de juger des
questions scientifiques ni de se substituer à la politique, mais
j’invite à un débat honnête et transparent, pour que les besoins
particuliers ou les idéologies n’affectent pas le bien commun.
189. La
politique ne doit pas se soumettre à l’économie et celle-ci ne
doit pas se soumettre aux diktats ni au paradigme d’efficacité de
la technocratie. Aujourd’hui, en pensant au bien commun, nous avons
impérieusement besoin que la politique et l’économie, en
dialogue, se mettent résolument au service de la vie, spécialement
de la vie humaine. Sauver les banques à tout prix, en en faisant
payer le prix à la population, sans la ferme décision de revoir et
de réformer le système dans son ensemble, réaffirme une emprise
absolue des finances qui n’a pas d’avenir et qui pourra seulement
générer de nouvelles crises après une longue, couteuse et
apparente guérison. La crise financière de 2007-2008 était une
occasion pour le développement d’une nouvelle économie plus
attentive aux principes éthiques, et pour une nouvelle régulation
de l’activité financière spéculative et de la richesse fictive.
Mais il n’y a pas eu de réaction qui aurait conduit à repenser
les critères obsolètes qui continuent à régir le monde. La
production n’est pas toujours rationnelle, et souvent elle est liée
à des variables économiques qui fixent pour les produits une valeur
qui ne correspond pas à leur valeur réelle. Cela conduit souvent à
la surproduction de certaines marchandises, avec un impact inutile
sur l’environnement qui, en même temps, porte préjudice à de
nombreuses économies régionales.[133] La
bulle financière est aussi, en général, une bulle productive. En
définitive, n’est pas affrontée avec énergie la question de
l’économie réelle, qui permet par exemple que la production se
diversifie et s’améliore, que les entreprises fonctionnent bien,
que les petites et moyennes entreprises se développent et créent
des emplois.
190. Dans
ce contexte, il faut toujours se rappeler que « la protection de
l’environnement ne peut pas être assurée uniquement en fonction
du calcul financier des coûts et des bénéfices. L’environnement
fait partie de ces biens que les mécanismes du marché ne sont pas
en mesure de défendre ou de promouvoir de façon adéquate
».[134] Une
fois de plus, il faut éviter une conception magique du marché qui
fait penser que les problèmes se résoudront tout seuls par
l’accroissement des bénéfices des entreprises ou des individus.
Est-il réaliste d’espérer que celui qui a l’obsession du
bénéfice maximum s’attarde à penser aux effets environnementaux
qu’il laissera aux prochaines générations ? Dans le schéma du
gain il n’y a pas de place pour penser aux rythmes de la nature, à
ses périodes de dégradation et de régénération, ni à la
complexité des écosystèmes qui peuvent être gravement altérés
par l’intervention humaine. De plus, quand on parle de
biodiversité, on la conçoit au mieux comme une réserve de
ressources économiques qui pourrait être exploitée, mais on ne
prend pas en compte sérieusement, entre autres, la valeur réelle
des choses, leur signification pour les personnes et les cultures,
les intérêts et les nécessités des pauvres.
191. Quand
on pose ces questions, certains réagissent en accusant les autres de
prétendre arrêter irrationnellement le progrès et le développement
humain. Mais nous devons nous convaincre que ralentir un rythme
déterminé de production et de consommation peut donner lieu à
d’autres formes de progrès et de développement. Les efforts pour
une exploitation durable des ressources naturelles ne sont pas une
dépense inutile, mais un investissement qui pourra générer
d’autres bénéfices économiques à moyen terme. Si nous ne
souffrons pas d’étroitesse de vue, nous pouvons découvrir que la
diversification d’une production plus innovante, et ce avec un
moindre impact sur l’environnement, peut être très rentable. Il
s’agit d’ouvrir le chemin à différentes opportunités qui
n’impliquent pas d’arrêter la créativité de l’homme et son
rêve de progrès, mais d’orienter cette énergie vers des voies
nouvelles.
192. Par
exemple, un chemin de développement productif plus créatif et mieux
orienté pourrait corriger le fait qu’il y a un investissement
technologique excessif pour la consommation et faible pour résoudre
les problèmes en suspens de l’humanité ; il pourrait générer
des formes intelligentes et rentables de réutilisation,
d’utilisation multifonctionnelle et de recyclage ; il pourrait
encore améliorer l’efficacité énergétique des villes. La
diversification de la production ouvre d’immenses possibilités à
l’intelligence humaine pour créer et innover, en même temps
qu’elle protège l’environnement et crée plus d’emplois. Ce
serait une créativité capable de faire fleurir de nouveau la
noblesse de l’être humain, parce qu’il est plus digne d’utiliser
l’intelligence, avec audace et responsabilité, pour trouver des
formes de développement durable et équitable, dans le cadre d’une
conception plus large de ce qu’est la qualité de vie. Inversement,
il est moins digne, il est superficiel et moins créatif de continuer
à créer des formes de pillage de la nature seulement pour offrir de
nouvelles possibilités de consommation et de gain immédiat.
193. De
toute manière, si dans certains cas le développement durable
entraînera de nouvelles formes de croissance, dans d’autres cas,
face à l’accroissement vorace et irresponsable produit durant de
nombreuses décennies, il faudra penser aussi à marquer une pause en
mettant certaines limites raisonnables, voire à retourner en arrière
avant qu’il ne soit trop tard. Nous savons que le comportement de
ceux qui consomment et détruisent toujours davantage n’est pas
soutenable, tandis que d’autres ne peuvent pas vivre conformément
à leur dignité humaine. C’est pourquoi l’heure est venue
d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du
monde, mettant à disposition des ressources pour une saine
croissance en d’autres parties. Benoît XVI affirmait qu’« il
est nécessaire que les sociétés technologiquement avancées soient
disposées à favoriser des comportements plus sobres, réduisant
leurs propres besoins d’énergie et améliorant les conditions de
son utilisation ».[135]
194. Pour
que surgissent de nouveaux modèles de progrès nous devons «
convertir le modèle de développement global»,[136] ce
qui implique de réfléchir de manière responsable « sur le sens de
l’économie et de ses objectifs, pour en corriger les
dysfonctionnements et les déséquilibres ».[137] Il
ne suffit pas de concilier, en un juste milieu, la protection de la
nature et le profit financier, ou la préservation de l’environnement
et le progrès. Sur ces questions, les justes milieux retardent
seulement un peu l’effondrement. Il s’agit simplement de
redéfinir le progrès. Un développement technologique et économique
qui ne laisse pas un monde meilleur et une qualité de vie
intégralement supérieure ne peut pas être considéré comme un
progrès. D’autre part, la qualité réelle de vie des personnes
diminue souvent – à cause de la détérioration de
l’environnement, de la mauvaise qualité des produits alimentaires
eux-mêmes ou de l’épuisement de certaines ressources – dans un
contexte de croissance économique. Dans ce cadre, le discours de la
croissance durable devient souvent un moyen de distraction et de
justification qui enferme les valeurs du discours écologique dans la
logique des finances et de la technocratie ; la responsabilité
sociale et environnementale des entreprises se réduit d’ordinaire
à une série d’actions de marketing et d’image.
195. Le
principe de la maximalisation du gain, qui tend à s’isoler de
toute autre considération, est une distorsion conceptuelle de
l’économie : si la production augmente, il importe peu que cela se
fasse au prix des ressources futures ou de la santé de
l’environnement ; si l’exploitation d’une forêt fait augmenter
la production, personne ne mesure dans ce calcul la perte qu’implique
la désertification du territoire, le dommage causé à la
biodiversité ou l’augmentation de la pollution. Cela veut dire que
les entreprises obtiennent des profits en calculant et en payant une
part infime des coûts. Seul pourrait être considéré comme éthique
un comportement dans lequel « les coûts économiques et sociaux
dérivant de l’usage des ressources naturelles communes soient
établis de façon transparente et soient entièrement supportés par
ceux qui en jouissent et non par les autres populations ou par les
générations futures ».[138] La
rationalité instrumentale, qui fait seulement une analyse statique
de la réalité en fonction des nécessités du moment, est présente
aussi bien quand c’est le marché qui assigne les ressources, que
lorsqu’un État planificateur le fait.
196. Qu’en
est-il de la politique ? Rappelons le principe de subsidiarité qui
donne la liberté au développement des capacités présentes à tous
les niveaux, mais qui exige en même temps plus de responsabilité
pour le bien commun de la part de celui qui détient plus de pouvoir.
Il est vrai qu’aujourd’hui certains secteurs économiques
exercent davantage de pouvoir que les États eux-mêmes. Mais on ne
peut pas justifier une économie sans politique, qui serait incapable
de promouvoir une autre logique qui régisse les divers aspects de la
crise actuelle. La logique qui ne permet pas d’envisager une
préoccupation sincère pour l’environnement est la même qui
empêche de nourrir le souci d’intégrer les plus fragiles, parce
que « dans le modèle actuel de ‘succès’ et de ‘droit privé’,
il ne semble pas que cela ait un sens de s’investir pour que ceux
qui restent en arrière, les faibles ou les moins pourvus, puissent
se faire un chemin dans la vie ».[139]
197. Nous
avons besoin d’une politique aux vues larges, qui suive une
approche globale en intégrant dans un dialogue interdisciplinaire
les divers aspects de la crise. Souvent la politique elle-même est
responsable de son propre discrédit, à cause de la corruption et du
manque de bonnes politiques publiques. Si l’État ne joue pas son
rôle dans une région, certains groupes économiques peuvent
apparaître comme des bienfaiteurs et s’approprier le pouvoir réel,
se sentant autorisés à ne pas respecter certaines normes, jusqu’à
donner lieu à diverses formes de criminalité organisée, de traite
de personnes, de narcotrafic, et de violence, très difficiles à
éradiquer. Si la politique n’est pas capable de rompre une logique
perverse, et de plus reste enfermée dans des discours appauvris,
nous continuerons à ne pas faire face aux grands problèmes de
l’humanité. Une stratégie de changement réel exige de repenser
la totalité des processus, puisqu’il ne suffit pas d’inclure des
considérations écologiques superficielles pendant qu’on ne remet
pas en cause la logique sous-jacente à la culture actuelle. Une
saine politique devrait être capable d’assumer ces défis.
198. La
politique et l’économie ont tendance à s’accuser mutuellement
en ce qui concerne la pauvreté et la dégradation de
l’environnement. Mais il faut espérer qu’elles reconnaîtront
leurs propres erreurs et trouveront des formes d’interaction
orientées vers le bien commun. Pendant que les uns sont obnubilés
uniquement par le profit économique et que d’autres ont pour seule
obsession la conservation ou l’accroissement de leur pouvoir, ce
que nous avons ce sont des guerres, ou bien des accords fallacieux où
préserver l’environnement et protéger les plus faibles est ce qui
intéresse le moins les deux parties. Là aussi vaut le principe : «
l’unité est supérieure au conflit ».[140]
199. On
ne peut pas soutenir que les sciences empiriques expliquent
complètement la vie, la structure de toutes les créatures et la
réalité dans son ensemble. Cela serait outrepasser de façon indue
leurs frontières méthodologiques limitées. Si on réfléchit dans
ce cadre fermé, la sensibilité esthétique, la poésie, et même la
capacité de la raison à percevoir le sens et la finalité des
choses disparaissent.[141] Je
veux rappeler que « les textes religieux classiques peuvent offrir
une signification pour toutes les époques, et ont une force de
motivation qui ouvre toujours de nouveaux horizons [...] Est-il
raisonnable et intelligent de les reléguer dans l’obscurité,
seulement du fait qu’ils proviennent d’un contexte de croyance
religieuse ? ».[142] En
réalité, il est naïf de penser que les principes éthiques
puissent se présenter de manière purement abstraite, détachés de
tout contexte, et le fait qu’ils apparaissent dans un langage
religieux ne les prive pas de toute valeur dans le débat public. Les
principes éthiques que la raison est capable de percevoir peuvent
réapparaître toujours de manière différente et être exprimés
dans des langages divers, y compris religieux.
200. D’autre
part, toute solution technique que les sciences prétendent apporter
sera incapable de résoudre les graves problèmes du monde si
l’humanité perd le cap, si l’on oublie les grandes motivations
qui rendent possibles la cohabitation, le sacrifice, la bonté. De
toute façon, il faudra inviter les croyants à être cohérents avec
leur propre foi et à ne pas la contredire par leurs actions ; il
faudra leur demander de s’ouvrir de nouveau à la grâce de Dieu et
de puiser au plus profond de leurs propres convictions sur l’amour,
la justice et la paix. Si une mauvaise compréhension de nos propres
principes nous a parfois conduits à justifier le mauvais traitement
de la nature, la domination despotique de l’être humain sur la
création, ou les guerres, l’injustice et la violence, nous, les
croyants, nous pouvons reconnaître que nous avons alors été
infidèles au trésor de sagesse que nous devions garder. Souvent les
limites culturelles des diverses époques ont conditionné cette
conscience de leur propre héritage éthique et spirituel, mais c’est
précisément le retour à leurs sources qui permet aux religions de
mieux répondre aux nécessités actuelles.
201. La
majorité des habitants de la planète se déclare croyante, et cela
devrait inciter les religions à entrer dans un dialogue en vue de la
sauvegarde de la nature, de la défense des pauvres, de la
construction de réseaux de respect et de fraternité. Un dialogue
entre les sciences elles-mêmes est aussi nécessaire parce que
chacune a l’habitude de s’enfermer dans les limites de son propre
langage, et la spécialisation a tendance à devenir isolement et
absolutisation du savoir de chacun. Cela empêche d’affronter
convenablement les problèmes de l’environnement. Un dialogue
ouvert et respectueux devient aussi nécessaire entre les différents
mouvements écologistes, où les luttes idéologiques ne manquent
pas. La gravité de la crise écologique exige que tous nous pensions
au bien commun et avancions sur un chemin de dialogue qui demande
patience, ascèse et générosité, nous souvenant toujours que « la
réalité est supérieure à l’idée ».[143]
EDUCATION
ET SPIRITUALITE ECOLOGIQUES
ET SPIRITUALITE ECOLOGIQUES
202. Beaucoup
de choses doivent être réorientées, mais avant tout l’humanité
a besoin de changer. La conscience d’une origine commune, d’une
appartenance mutuelle et d’un avenir partagé par tous, est
nécessaire. Cette conscience fondamentale permettrait le
développement de nouvelles convictions, attitudes et formes de vie.
Ainsi un grand défi culturel, spirituel et éducatif, qui supposera
de longs processus de régénération, est mis en évidence.
203. Étant
donné que le marché tend à créer un mécanisme consumériste
compulsif pour placer ses produits, les personnes finissent par être
submergées, dans une spirale d’achats et de dépenses inutiles. Le
consumérisme obsessif est le reflet subjectif du paradigme
techno-économique. Il arrive ce que Romano Guardini signalait déjà
: l’être humain « accepte les choses usuelles et les formes de la
vie telles qu’elles lui sont imposées par les plans rationnels et
les produits normalisés de la machine et, dans l’ensemble, il le
fait avec l’impression que tout cela est raisonnable et juste
».[144] Ce
paradigme fait croire à tous qu’ils sont libres, tant qu’ils ont
une soi-disant liberté pour consommer, alors que ceux qui ont en
réalité la liberté, ce sont ceux qui constituent la minorité en
possession du pouvoir économique et financier. Dans cette équivoque,
l’humanité postmoderne n’a pas trouvé une nouvelle conception
d’elle-même qui puisse l’orienter, et ce manque d’identité
est vécu avec angoisse. Nous possédons trop de moyens pour des fins
limitées et rachitiques.
204. La
situation actuelle du monde « engendre un sentiment de précarité
et d’insécurité qui, à son tour, nourrit des formes d’égoïsme
collectif ».[145] Quand
les personnes deviennent autoréférentielles et s’isolent dans
leur propre conscience, elles accroissent leur voracité. En effet,
plus le cœur de la personne est vide, plus elle a besoin d’objets
à acheter, à posséder et à consommer. Dans ce contexte, il ne
semble pas possible qu’une personne accepte que la réalité lui
fixe des limites. À cet horizon, un vrai bien commun n’existe pas
non plus. Si c’est ce genre de sujet qui tend à prédominer dans
une société, les normes seront seulement respectées dans la mesure
où elles ne contredisent pas des besoins personnels. C’est
pourquoi nous ne pensons pas seulement à l’éventualité de
terribles phénomènes climatiques ou à de grands désastres
naturels, mais aussi aux catastrophes dérivant de crises sociales,
parce que l’obsession d’un style de vie consumériste ne pourra
que provoquer violence et destruction réciproque, surtout quand seul
un petit nombre peut se le permettre.
205. Cependant,
tout n’est pas perdu, parce que les êtres humains, capables de se
dégrader à l’extrême, peuvent aussi se surmonter, opter de
nouveau pour le bien et se régénérer, au-delà de tous les
conditionnements mentaux et sociaux qu’on leur impose. Ils sont
capables de se regarder eux-mêmes avec honnêteté, de révéler au
grand jour leur propre dégoût et d’initier de nouveaux chemins
vers la vraie liberté. Il n’y a pas de systèmes qui annulent
complètement l’ouverture au bien, à la vérité et à la beauté,
ni la capacité de réaction que Dieu continue d’encourager du plus
profond des cœurs humains. Je demande à chaque personne de ce monde
de ne pas oublier sa dignité que nul n’a le droit de lui enlever.
206. Un
changement dans les styles de vie pourrait réussir à exercer une
pression saine sur ceux qui détiennent le pouvoir politique,
économique et social. C’est ce qui arrive quand les mouvements de
consommateurs obtiennent qu’on n’achète plus certains produits,
et deviennent ainsi efficaces pour modifier le comportement des
entreprises, en les forçant à considérer l’impact
environnemental et les modèles de production. C’est un fait, quand
les habitudes de la société affectent le gain des entreprises,
celles-ci se trouvent contraintes à produire autrement. Cela nous
rappelle la responsabilité sociale des consommateurs : « Acheter
est non seulement un acte économique mais toujours aussi un acte
moral ».[146] C’est
pourquoi, aujourd’hui « le thème de la dégradation
environnementale met en cause les comportements de chacun de nous
».[147]
207. La
Charte de la Terre nous invitait tous à tourner le dos à une étape
d’autodestruction et à prendre un nouveau départ, mais nous
n’avons pas encore développé une conscience universelle qui le
rende possible. Voilà pourquoi j’ose proposer de nouveau ce beau
défi : “Comme jamais auparavant dans l’histoire, notre destin
commun nous invite à chercher un nouveau commencement [...] Faisons
en sorte que notre époque soit reconnue dans l’histoire comme
celle de l’éveil d’une nouvelle forme d’hommage à la vie,
d’une ferme résolution d’atteindre la durabilité, de
l’accélération de la lutte pour la justice et la paix et de
l’heureuse célébration de la vie”.[148]
208. Il
est toujours possible de développer à nouveau la capacité de
sortir de soi vers l’autre. Sans elle, on ne reconnaît pas la
valeur propre des autres créatures, on ne se préoccupe pas de
protéger quelque chose pour les autres, on n’a pas la capacité de
se fixer des limites pour éviter la souffrance ou la détérioration
de ce qui nous entoure. L’attitude fondamentale de se transcender,
en rompant avec l’isolement de la conscience et
l’autoréférentialité, est la racine qui permet toute attention
aux autres et à l’environnement, et qui fait naître la réaction
morale de prendre en compte l’impact que chaque action et chaque
décision personnelle provoquent hors de soi-même. Quand nous sommes
capables de dépasser l’individualisme, un autre style de vie peut
réellement se développer et un changement important devient
possible dans la société.
209. La
conscience de la gravité de la crise culturelle et écologique doit
se traduire par de nouvelles habitudes. Beaucoup savent que le
progrès actuel, tout comme la simple accumulation d’objets ou de
plaisirs, ne suffit pas à donner un sens ni de la joie au cœur
humain, mais ils ne se sentent pas capables de renoncer à ce que le
marché leur offre. Dans les pays qui devraient réaliser les plus
grands changements d’habitudes de consommation, les jeunes ont une
nouvelle sensibilité écologique et un esprit généreux, et
certains d’entre eux luttent admirablement pour la défense de
l’environnement ; mais ils ont grandi dans un contexte de très
grande consommation et de bien-être qui rend difficile le
développement d’autres habitudes. C’est pourquoi nous sommes
devant un défi éducatif.
210. L’éducation
environnementale a progressivement élargi le champ de ses objectifs.
Si au commencement elle était très axée sur l’information
scientifique ainsi que sur la sensibilisation et la prévention de
risques environnementaux, à présent cette éducation tend à
inclure une critique des “mythes” de la modernité
(individualisme, progrès indéfini, concurrence, consumérisme,
marché sans règles), fondés sur la raison instrumentale ; elle
tend également à s’étendre aux différents niveaux de
l’équilibre écologique : au niveau interne avec soi-même, au
niveau solidaire avec les autres, au niveau naturel avec tous les
êtres vivants, au niveau spirituel avec Dieu. L’éducation
environnementale devrait nous disposer à faire ce saut vers le
Mystère, à partir duquel une éthique écologique acquiert son sens
le plus profond. Par ailleurs, des éducateurs sont capables de
repenser les itinéraires pédagogiques d’une éthique écologique,
de manière à faire grandir effectivement dans la solidarité, dans
la responsabilité et dans la protection fondée sur la compassion.
211. Cependant,
cette éducation ayant pour vocation de créer une “citoyenneté
écologique” se limite parfois à informer, et ne réussit pas à
développer des habitudes. L’existence de lois et de normes n’est
pas suffisante à long terme pour limiter les mauvais comportements,
même si un contrôle effectif existe. Pour que la norme juridique
produise des effets importants et durables, il est nécessaire que la
plupart des membres de la société l’aient acceptée grâce à des
motivations appropriées, et réagissent à partir d’un changement
personnel. C’est seulement en cultivant de solides vertus que le
don de soi dans un engagement écologique est possible. Si une
personne a l’habitude de se couvrir un peu au lieu d’allumer le
chauffage, alors que sa situation économique lui permettrait de
consommer et de dépenser plus, cela suppose qu’elle a intégré
des convictions et des sentiments favorables à la préservation de
l’environnement. Accomplir le devoir de sauvegarder la création
par de petites actions quotidiennes est très noble, et il est
merveilleux que l’éducation soit capable de les susciter jusqu’à
en faire un style de vie. L’éducation à la responsabilité
environnementale peut encourager divers comportements qui ont une
incidence directe et importante sur la préservation de
l’environnement tels que : éviter l’usage de matière plastique
et de papier, réduire la consommation d’eau, trier les déchets,
cuisiner seulement ce que l’on pourra raisonnablement manger,
traiter avec attention les autres êtres vivants, utiliser les
transports publics ou partager le même véhicule entre plusieurs
personnes, planter des arbres, éteindre les lumières inutiles. Tout
cela fait partie d’une créativité généreuse et digne, qui
révèle le meilleur de l’être humain. Le fait de réutiliser
quelque chose au lieu de le jeter rapidement, parce qu’on est animé
par de profondes motivations, peut être un acte d’amour exprimant
notre dignité.
212. Il
ne faut pas penser que ces efforts ne vont pas changer le monde. Ces
actions répandent dans la société un bien qui produit toujours des
fruits au-delà de ce que l’on peut constater, parce qu’elles
suscitent sur cette terre un bien qui tend à se répandre toujours,
parfois de façon invisible. En outre, le développement de ces
comportements nous redonne le sentiment de notre propre dignité, il
nous porte à une plus grande profondeur de vie, il nous permet de
faire l’expérience du fait qu’il vaut la peine de passer en ce
monde.
213. Les
milieux éducatifs sont divers : l’école, la famille, les moyens
de communication, la catéchèse et autres. Une bonne éducation
scolaire, dès le plus jeune âge, sème des graines qui peuvent
produire des effets tout au long d’une vie. Mais je veux souligner
l’importance centrale de la famille, parce qu’« elle est le lieu
où la vie, don de Dieu, peut être convenablement accueillie et
protégée contre les nombreuses attaques auxquelles elle est
exposée, le lieu où elle peut se développer suivant les exigences
d’une croissance humaine authentique. Contre ce qu’on appelle la
culture de la mort, la famille constitue le lieu de la culture de la
vie ».[149] Dans
la famille, on cultive les premiers réflexes d’amour et de
préservation de la vie, comme par exemple l’utilisation correcte
des choses, l’ordre et la propreté, le respect pour l’écosystème
local et la protection de tous les êtres créés. La famille est le
lieu de la formation intégrale, où se déroulent les différents
aspects, intimement reliés entre eux, de la maturation personnelle.
Dans la famille, on apprend à demander une permission avec respect,
à dire “merci” comme expression d’une juste évaluation des
choses qu’on reçoit, à dominer l’agressivité ou la voracité,
et à demander pardon quand on cause un dommage. Ces petits gestes de
sincère courtoisie aident à construire une culture de la vie
partagée et du respect pour ce qui nous entoure.
214. Un
effort de sensibilisation de la population incombe à la politique et
aux diverses associations. À l’Église également. Toutes les
communautés chrétiennes ont un rôle important à jouer dans cette
éducation. J’espère aussi que dans nos séminaires et maisons
religieuses de formation, on éduque à une austérité responsable,
à la contemplation reconnaissante du monde, à la protection de la
fragilité des pauvres et de l’environnement. Étant donné
l’importance de ce qui est en jeu, de même que des institutions
dotées de pouvoir sont nécessaires pour sanctionner les attaques à
l’environnement, nous avons aussi besoin de nous contrôler et de
nous éduquer les uns les autres.
215. Dans
ce contexte, « il ne faut pas négliger la relation qui existe entre
une formation esthétique appropriée et la préservation de
l’environnement».[150] Prêter
attention à la beauté, et l’aimer, nous aide à sortir du
pragmatisme utilitariste. Quand quelqu’un n’apprend pas à
s’arrêter pour observer et pour évaluer ce qui est beau, il n’est
pas étonnant que tout devienne pour lui objet d’usage et d’abus
sans scrupule. En même temps, si l’on veut obtenir des changements
profonds, il faut garder présent à l’esprit que les paradigmes de
la pensée influent réellement sur les comportements. L’éducation
sera inefficace, et ses efforts seront vains, si elle n’essaie pas
aussi de répandre un nouveau paradigme concernant l’être humain,
la vie, la société et la relation avec la nature. Autrement, le
paradigme consumériste, transmis par les moyens de communication
sociale et les engrenages efficaces du marché, continuera de
progresser.
216. La
grande richesse de la spiritualité chrétienne, générée par vingt
siècles d’expériences personnelles et communautaires, offre une
belle contribution à la tentative de renouveler l’humanité. Je
veux proposer aux chrétiens quelques lignes d’une spiritualité
écologique qui trouvent leur origine dans des convictions de notre
foi, car ce que nous enseigne l’Évangile a des conséquences sur
notre façon de penser, de sentir et de vivre. Il ne s’agit pas de
parler tant d’idées, mais surtout de motivations qui naissent de
la spiritualité pour alimenter la passion de la préservation du
monde. Il ne sera pas possible, en effet, de s’engager dans de
grandes choses seulement avec des doctrines, sans une mystique qui
nous anime, sans « les mobiles intérieurs qui poussent, motivent,
encouragent et donnent sens à l’action personnelle et
communautaire».[151] Nous
devons reconnaître que, nous les chrétiens, nous n’avons pas
toujours recueilli et développé les richesses que Dieu a données à
l’Église, où la spiritualité n’est déconnectée ni de notre
propre corps, ni de la nature, ni des réalités de ce monde ; la
spiritualité se vit plutôt avec celles-ci et en elles, en communion
avec tout ce qui nous entoure.
217. S’il
est vrai que « les déserts extérieurs se multiplient dans notre
monde, parce que les déserts intérieurs sont devenus très grands
»,[152] la
crise écologique est un appel à une profonde conversion intérieure.
Mais nous devons aussi reconnaître que certains chrétiens, engagés
et qui prient, ont l’habitude de se moquer des préoccupations pour
l’environnement, avec l’excuse du réalisme et du pragmatisme.
D’autres sont passifs, ils ne se décident pas à changer leurs
habitudes et ils deviennent incohérents. Ils ont donc besoin
d’une conversion
écologique,
qui implique de laisser jaillir toutes les conséquences de leur
rencontre avec Jésus-Christ sur les relations avec le monde qui les
entoure. Vivre la vocation de protecteurs de l’œuvre de Dieu est
une part essentielle d’une existence vertueuse ; cela n’est pas
quelque chose d’optionnel ni un aspect secondaire dans l’expérience
chrétienne.
218. Pour
proposer une relation saine avec la création comme dimension de la
conversion intégrale de la personne, souvenons-nous du modèle de
saint François d’Assise. Cela implique aussi de reconnaître ses
propres erreurs, péchés, vices ou négligences, et de se repentir
de tout cœur, de changer intérieurement. Les Évêques australiens
ont su exprimer la conversion en termes de réconciliation avec la
création : « Pour réaliser cette réconciliation, nous devons
examiner nos vies et reconnaître de quelle façon nous offensons la
création de Dieu par nos actions et notre incapacité d’agir. Nous
devons faire l’expérience d’une conversion, d’un changement du
cœur ».[153]
219. Cependant,
il ne suffit pas que chacun s’amende pour dénouer une situation
aussi complexe que celle qu’affronte le monde actuel. Les individus
isolés peuvent perdre leur capacité, ainsi que leur liberté pour
surmonter la logique de la raison instrumentale, et finir par être à
la merci d’un consumérisme sans éthique et sans dimension sociale
ni environnementale. On répond aux problèmes sociaux par des
réseaux communautaires, non par la simple somme de biens individuels
: « Les exigences de cette œuvre seront si immenses que les
possibilités de l’initiative individuelle et la coopération
d’hommes formés selon les principes individualistes ne pourront y
répondre. Seule une autre attitude provoquera l’union des forces
et l’unité de réalisation nécessaires ».[154] La
conversion écologique requise pour créer un dynamisme de changement
durable est aussi une conversion communautaire.
220. Cette
conversion suppose diverses attitudes qui se conjuguent pour
promouvoir une protection généreuse et pleine de tendresse. En
premier lieu, elle implique gratitude et gratuité, c’est-à-dire
une reconnaissance du monde comme don reçu de l’amour du Père, ce
qui a pour conséquence des attitudes gratuites de renoncement et des
attitudes généreuses même si personne ne les voit ou ne les
reconnaît : « Que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite
[...] et ton Père qui voit dans le secret, te le rendra » (Mt 6,
3-4). Cette conversion implique aussi la conscience amoureuse de ne
pas être déconnecté des autres créatures, de former avec les
autres êtres de l’univers une belle communion universelle. Pour le
croyant, le monde ne se contemple pas de l’extérieur mais de
l’intérieur, en reconnaissant les liens par lesquels le Père nous
a unis à tous les êtres. En outre, en faisant croître les
capacités spécifiques que Dieu lui a données, la conversion
écologique conduit le croyant à développer sa créativité et son
enthousiasme, pour affronter les drames du monde en s’offrant à
Dieu « comme un sacrifice vivant, saint et agréable » (Bm 12,
1). Il ne comprend pas sa supériorité comme motif de gloire
personnelle ou de domination irresponsable, mais comme une capacité
différente, lui imposant à son tour une grave responsabilité qui
naît de sa foi.
221. Diverses
convictions de notre foi développées au début de cette Encyclique,
aident à enrichir le sens de cette conversion, comme la conscience
que chaque créature reflète quelque chose de Dieu et a un message à
nous enseigner ; ou encore l’assurance que le Christ a assumé en
lui-même ce monde matériel et qu’à présent, ressuscité, il
habite au fond de chaque être, en l’entourant de son affection
comme en le pénétrant de sa lumière ; et aussi la conviction que
Dieu a créé le monde en y inscrivant un ordre et un dynamisme que
l’être humain n’a pas le droit d’ignorer. Quand on lit dans
l’Évangile que Jésus parle des oiseaux, et dit qu’ « aucun
d’eux n’est oublié au regard de Dieu » (Lc 12, 6) :
pourra-t-on encore les maltraiter ou leur faire du mal ? J’invite
tous les chrétiens à expliciter cette dimension de leur conversion,
en permettant que la force et la lumière de la grâce reçue
s’étendent aussi à leur relation avec les autres créatures ainsi
qu’avec le monde qui les entoure, et suscitent cette fraternité
sublime avec toute la création, que saint François d’Assise a
vécue d’une manière si lumineuse.
222. La
spiritualité chrétienne propose une autre manière de comprendre la
qualité de vie, et encourage un style de vie prophétique et
contemplatif, capable d’aider à apprécier profondément les
choses sans être obsédé par la consommation. Il est important
d’assimiler un vieil enseignement, présent dans diverses
traditions religieuses, et aussi dans la Bible. Il s’agit de la
conviction que “moins est plus”. En effet, l’accumulation
constante de possibilités de consommer distrait le cœur et empêche
d’évaluer chaque chose et chaque moment. En revanche, le fait
d’être sereinement présent à chaque réalité, aussi petite
soit-elle, nous ouvre beaucoup plus de possibilités de compréhension
et d’épanouissement personnel. La spiritualité chrétienne
propose une croissance par la sobriété, et une capacité de jouir
avec peu. C’est un retour à la simplicité qui nous permet de nous
arrêter pour apprécier ce qui est petit, pour remercier des
possibilités que la vie offre, sans nous attacher à ce que nous
avons ni nous attrister de ce que nous ne possédons pas. Cela
suppose d’éviter la dynamique de la domination et de la simple
accumulation de plaisirs.
223. La
sobriété, qui est vécue avec liberté et de manière consciente,
est libératrice. Ce n’est pas moins de vie, ce n’est pas une
basse intensité de vie mais tout le contraire ; car, en réalité
ceux qui jouissent plus et vivent mieux chaque moment, sont ceux qui
cessent de picorer ici et là en cherchant toujours ce qu’ils n’ont
pas, et qui font l’expérience de ce qu’est valoriser chaque
personne et chaque chose, en apprenant à entrer en contact et en
sachant jouir des choses les plus simples. Ils ont ainsi moins de
besoins insatisfaits, et sont moins fatigués et moins tourmentés.
On peut vivre intensément avec peu, surtout quand on est capable
d’apprécier d’autres plaisirs et qu’on trouve satisfaction
dans les rencontres fraternelles, dans le service, dans le
déploiement de ses charismes, dans la musique et l’art, dans le
contact avec la nature, dans la prière. Le bonheur requiert de
savoir limiter certains besoins qui nous abrutissent, en nous rendant
ainsi disponibles aux multiples possibilités qu’offre la vie.
224. La
sobriété et l’humilité n’ont pas bénéficié d’un regard
positif au cours du siècle dernier. Mais quand l’exercice d’une
vertu s’affaiblit d’une manière généralisée dans la vie
personnelle et sociale, cela finit par provoquer des déséquilibres
multiples, y compris des déséquilibres environnementaux. C’est
pourquoi, il ne suffit plus de parler seulement de l’intégrité
des écosystèmes. Il faut oser parler de l’intégrité de la vie
humaine, de la nécessité d’encourager et de conjuguer toutes les
grandes valeurs. La disparition de l’humilité chez un être
humain, enthousiasmé malheureusement par la possibilité de tout
dominer sans aucune limite, ne peut que finir par porter préjudice à
la société et à l’environnement. Il n’est pas facile de
développer cette saine humilité ni une sobriété heureuse si nous
nous rendons autonomes, si nous excluons Dieu de notre vie et que
notre moi prend sa place, si nous croyons que c’est notre propre
subjectivité qui détermine ce qui est bien ou ce qui est mauvais.
225. Par
ailleurs, aucune personne ne peut mûrir dans une sobriété
heureuse, sans être en paix avec elle-même. La juste compréhension
de la spiritualité consiste en partie à amplifier ce que nous
entendons par paix, qui est beaucoup plus que l’absence de guerre.
La paix intérieure des personnes tient, dans une large mesure, de la
préservation de l’écologie et du bien commun, parce que,
authentiquement vécue, elle se révèle dans un style de vie
équilibré joint à une capacité d’admiration qui mène à la
profondeur de la vie. La nature est pleine de mots d’amour, mais
comment pourrons‑nous les écouter au milieu du bruit constant,
de la distraction permanente et anxieuse, ou du culte de l’apparence
? Beaucoup de personnes font l’expérience d’un profond
déséquilibre qui les pousse à faire les choses à toute vitesse
pour se sentir occupées, dans une hâte constante qui, à son tour,
les amène à renverser tout ce qu’il y a autour d’eux. Cela a un
impact sur la manière dont on traite l’environnement. Une écologie
intégrale implique de consacrer un peu de temps à retrouver
l’harmonie sereine avec la création, à réfléchir sur notre
style de vie et sur nos idéaux, à contempler le Créateur, qui vit
parmi nous et dans ce qui nous entoure, dont la présence « ne doit
pas être fabriquée, mais découverte, dévoilée».[155]
226. Nous
parlons d’une attitude du cœur, qui vit tout avec une attention
sereine, qui sait être pleinement présent à quelqu’un sans
penser à ce qui vient après, qui se livre à tout moment comme un
don divin qui doit être pleinement vécu. Jésus nous enseignait
cette attitude quand il nous invitait à regarder les lys des champs
et les oiseaux du ciel, ou quand en présence d’un homme inquiet «
il fixa sur lui son regard et l’aima » (Mc 10, 21). Il
était pleinement présent à chaque être humain et à chaque
créature, et il nous a ainsi montré un chemin pour surmonter
l’anxiété maladive qui nous rend superficiels, agressifs et
consommateurs effrénés.
227. S’arrêter
pour rendre grâce à Dieu avant et après les repas est une
expression de cette attitude. Je propose aux croyants de renouer avec
cette belle habitude et de la vivre en profondeur. Ce moment de la
bénédiction, bien qu’il soit très bref, nous rappelle notre
dépendance de Dieu pour la vie, il fortifie notre sentiment de
gratitude pour les dons de la création, reconnaît ceux qui par leur
travail fournissent ces biens, et renforce la solidarité avec ceux
qui sont le plus dans le besoin.
228. La
préservation de la nature fait partie d’un style de vie qui
implique une capacité de cohabitation et de communion. Jésus nous a
rappelé que nous avons Dieu comme Père commun, ce qui fait de nous
des frères. L’amour fraternel ne peut être que gratuit, il ne
peut jamais être une rétribution pour ce qu’un autre réalise ni
une avance pour ce que nous espérons qu’il fera. C’est pourquoi,
il est possible d’aimer les ennemis. Cette même gratuité nous
amène à aimer et à accepter le vent, le soleil ou les nuages, bien
qu’ils ne se soumettent pas à notre contrôle. Voilà pourquoi
nous pouvons parler d’une fraternité universelle.
229. Il
faut reprendre conscience que nous avons besoin les uns des autres,
que nous avons une responsabilité vis-à-vis des autres et du monde,
que cela vaut la peine d’être bons et honnêtes. Depuis trop
longtemps déjà, nous sommes dans la dégradation morale, en nous
moquant de l’éthique, de la bonté, de la foi, de l’honnêteté.
L’heure est arrivée de réaliser que cette joyeuse superficialité
nous a peu servi. Cette destruction de tout fondement de la vie
sociale finit par nous opposer les uns aux autres, chacun cherchant à
préserver ses propres intérêts ; elle provoque l’émergence de
nouvelles formes de violence et de cruauté, et empêche le
développement d’une vraie culture de protection de
l’environnement.
230. L’exemple
de sainte Thérèse de Lisieux nous invite à pratiquer la petite
voie de l’amour, à ne pas perdre l’occasion d’un mot aimable,
d’un sourire, de n’importe quel petit geste qui sème paix et
amitié. Une écologie intégrale est aussi faite de simples gestes
quotidiens par lesquels nous rompons la logique de la violence, de
l’exploitation, de l’égoïsme. En attendant, le monde de la
consommation exacerbée est en même temps le monde du mauvais
traitement de la vie sous toutes ses formes.
231. L’amour,
fait de petits gestes d’attention mutuelle, est aussi civil et
politique, et il se manifeste dans toutes les actions qui essaient de
construire un monde meilleur. L’amour de la société et
l’engagement pour le bien commun sont une forme excellente de
charité qui, non seulement concerne les relations entre les
individus mais aussi les « macro-relations: rapports sociaux,
économiques, politiques».[156] C’est
pourquoi, l’Église a proposé au monde l’idéal d’une «
civilisation de l’amour ».[157] L’amour
social est la clef d’un développement authentique : « Pour rendre
la société plus humaine, plus digne de la personne, il faut
revaloriser l’amour dans la vie sociale — au niveau politique,
économique, culturel —, en en faisant la norme constante et
suprême de l’action ».[158] Dans
ce cadre, joint à l’importance des petits gestes quotidiens,
l’amour social nous pousse à penser aux grandes stratégies à
même d’arrêter efficacement la dégradation de l’environnement
et d’encourager une culture
de protection qui
imprègne toute la société. Celui qui reconnaît l’appel de Dieu
à agir de concert avec les autres dans ces dynamiques sociales doit
se rappeler que cela fait partie de sa spiritualité, que c’est un
exercice de la charité, et que, de cette façon, il mûrit et il se
sanctifie.
232. Tout
le monde n’est pas appelé à travailler directement en politique ;
mais au sein de la société germe une variété innombrable
d’associations qui interviennent en faveur du bien commun en
préservant l’environnement naturel et urbain. Par exemple, elles
s’occupent d’un lieu public (un édifice, une fontaine, un
monument abandonné, un paysage, une place) pour protéger, pour
assainir, pour améliorer ou pour embellir quelque chose qui
appartient à tous. Autour d’elles, se développent ou se reforment
des liens, et un nouveau tissu social local surgit. Une communauté
se libère ainsi de l’indifférence consumériste. Cela implique la
culture d’une identité commune, d’une histoire qui se conserve
et se transmet. De cette façon, le monde et la qualité de vie des
plus pauvres sont préservés, grâce à un sens solidaire qui est en
même temps la conscience d’habiter une maison commune que Dieu
nous a prêtée. Ces actions communautaires, quand elles expriment un
amour qui se livre, peuvent devenir des expériences spirituelles
intenses.
233. L’univers
se déploie en Dieu, qui le remplit tout entier. Il y a donc une
mystique dans une feuille, dans un chemin, dans la rosée, dans le
visage du pauvre. L’idéal n’est pas seulement de passer de
l’extérieur à l’intérieur pour découvrir l’action de Dieu
dans l’âme, mais aussi d’arriver à le trouver en toute
chose[159],
comme l’enseignait saint Bonaventure : « La contemplation est
d’autant plus éminente que l’homme sent en lui-même l’effet
de la grâce divine et qu’il sait trouver Dieu dans les créatures
extérieures ».[160]
234. Saint
Jean de la Croix enseignait que ce qu’il y a de bon dans les choses
et dans les expériences du monde « se rencontre[nt] en Dieu
éminemment et à l’infini, ou pour mieux dire, chacune de ces
excellences est Dieu même, comme toutes ces excellences réunies
sont Dieu même »[161].
Non parce que les choses limitées du monde seraient réellement
divines, mais parce que le mystique fait l’expérience de la
connexion intime qui existe entre Dieu et tous les êtres, et ainsi «
il sent que Dieu est toutes les choses »[162].
S’il admire la grandeur d’une montagne, il ne peut pas la séparer
de Dieu, et il perçoit que cette admiration intérieure qu’il vit
doit reposer dans le Seigneur : « Les montagnes sont élevées ;
elles sont fertiles, spacieuses, belles, gracieuses, fleuries et
embaumées. Mon Bien-Aimé est pour moi ces montagnes. Les vallons
solitaires sont paisibles, agréables, frais et ombragés. L’eau
pure y coule en abondance. Ils charment et recréent les sens par
leur végétation variée et par les chants mélodieux des oiseaux
qui les habitent. Ils procurent la fraîcheur et le repos par la
solitude et le silence qui y règnent. Mon Bien-Aimé est pour moi
ces valons ».[163]
235. Les
Sacrements sont un mode privilégié de la manière dont la nature
est assumée par Dieu et devient médiation de la vie surnaturelle. À
travers le culte, nous sommes invités à embrasser le monde à un
niveau différent. L’eau, l’huile, le feu et les couleurs sont
assumés avec toute leur force symbolique et s’incorporent à la
louange. La main qui bénit est instrument de l’amour de Dieu et
reflet de la proximité de Jésus-Christ qui est venu nous
accompagner sur le chemin de la vie. L’eau qui se répand sur le
corps de l’enfant baptisé est signe de vie nouvelle. Nous ne nous
évadons pas du monde, et nous ne nions pas la nature quand nous
voulons rencontrer Dieu. Cela peut se percevoir particulièrement
dans la spiritualité chrétienne orientale : « La beauté, qui est
l’un des termes privilégiés en Orient pour exprimer la divine
harmonie et le modèle de l’humanité transfigurée, se révèle
partout : dans les formes du sanctuaire, dans les sons, dans les
couleurs, dans les lumières, dans les parfums».[164] Selon
l’expérience chrétienne, toutes les créatures de l’univers
matériel trouvent leur vrai sens dans le Verbe incarné, parce que
le Fils de Dieu a intégré dans sa personne une partie de l’univers
matériel, où il a introduit un germe de transformation définitive
: « Le christianisme ne refuse pas la matière, la corporéité, qui
est au contraire pleinement valorisée dans l’acte liturgique, dans
lequel le corps humain montre sa nature intime de temple de l’Esprit
et parvient à s’unir au Seigneur Jésus, lui aussi fait corps pour
le salut du monde ».[165]
236. Dans
l’Eucharistie, la création trouve sa plus grande élévation. La
grâce, qui tend à se manifester d’une manière sensible, atteint
une expression extraordinaire quand Dieu fait homme, se fait
nourriture pour sa créature. Le Seigneur, au sommet du mystère de
l’Incarnation, a voulu rejoindre notre intimité à travers un
fragment de matière. Non d’en haut, mais de l’intérieur, pour
que nous puissions le rencontrer dans notre propre monde. Dans
l’Eucharistie la plénitude est déjà réalisée ; c’est le
centre vital de l’univers, le foyer débordant d’amour et de vie
inépuisables. Uni au Fils incarné, présent dans l’Eucharistie,
tout le cosmos rend grâce à Dieu. En effet, l’Eucharistie est en
soi un acte d’amour cosmique : « Oui, cosmique! Car, même
lorsqu’elle est célébrée sur un petit autel d’une église de
campagne, l’Eucharistie est toujours célébrée, en un sens, sur
l’autel du monde ».[166] L’Eucharistie
unit le ciel et la terre, elle embrasse et pénètre toute la
création. Le monde qui est issu des mains de Dieu, retourne à lui
dans une joyeuse et pleine adoration : dans le Pain eucharistique, «
la création est tendue vers la divinisation, vers les saintes noces,
vers l’unification avec le Créateur lui-même ».[167] C’est
pourquoi, l’Eucharistie est aussi source de lumière et de
motivation pour nos préoccupations concernant l’environnement, et
elle nous invite à être gardiens de toute la création.
237. Le
dimanche, la participation à l’Eucharistie a une importance
spéciale. Ce jour, comme le sabbat juif, est offert comme le jour de
la purification des relations de l’être humain avec Dieu, avec
lui-même, avec les autres et avec le monde. Le dimanche est le jour
de la résurrection, le “premier jour” de la nouvelle création,
dont les prémices sont l’humanité ressuscitée du Seigneur, gage
de la transfiguration finale de toute la réalité créée. En outre,
ce jour annonce « le repos éternel de l’homme en Dieu »[168].
De cette façon, la spiritualité chrétienne intègre la valeur du
loisir et de la fête. L’être humain tend à réduire le repos
contemplatif au domaine de l’improductif ou de l’inutile, en
oubliant qu’ainsi il retire à l’œuvre qu’il réalise le plus
important : son sens. Nous sommes appelés à inclure dans notre agir
une dimension réceptive et gratuite, qui est différente d’une
simple inactivité. Il s’agit d’une autre manière d’agir qui
fait partie de notre essence. Ainsi, l’action humaine est préservée
non seulement de l’activisme vide, mais aussi de la passion vorace
et de l’isolement de la conscience qui amène à poursuivre
uniquement le bénéfice personnel. La loi du repos hebdomadaire
imposait de chômer le septième jour « afin que se reposent ton
bœuf et ton âne et que reprennent souffle le fils de ta servante
ainsi que l’étranger » (Ex 23,
12). En effet, le repos est un élargissement du regard qui permet de
reconnaître à nouveau les droits des autres. Ainsi, le jour du
repos, dont l’Eucharistie est le centre, répand sa lumière sur la
semaine tout entière et il nous pousse à intérioriser la
protection de la nature et des pauvres.
238. Le
Père est l’ultime source de tout, fondement aimant et communicatif
de tout ce qui existe. Le Fils, qui le reflète, et par qui tout a
été créé, s’est uni à cette terre quand il a été formé dans
le sein de Marie. L’Esprit, lien infini d’amour, est intimement
présent au cœur de l’univers en l’animant et en suscitant de
nouveaux chemins. Le monde a été créé par les trois Personnes
comme un unique principe divin, mais chacune d’elles réalise cette
œuvre commune selon ses propriétés personnelles. C’est pourquoi
« lorsque [...] nous contemplons avec admiration l’univers dans sa
grandeur et sa beauté, nous devons louer la Trinité tout entière
».[169]
239. Pour
les chrétiens, croire en un Dieu qui est un et communion trinitaire,
incite à penser que toute la réalité contient en son sein une
marque proprement trinitaire. Saint Bonaventure en est arrivé à
affirmer que, avant le péché, l’être humain pouvait découvrir
comment chaque créature « atteste que Dieu est trine ». Le reflet
de la Trinité pouvait se reconnaître dans la nature « quand ce
livre n’était pas obscur pour l’homme et que le regard de
l’homme n’avait pas été troublé ».[170] Le
saint franciscain nous enseigne que
toute créature porte en soi une structure proprement trinitaire,
si réelle qu’elle pourrait être spontanément contemplée si le
regard de l’être humain n’était pas limité, obscur et fragile.
Il nous indique ainsi le défi d’essayer de lire la réalité avec
une clé trinitaire.
240. Les
Personnes divines sont des relations subsistantes, et le monde, créé
selon le modèle divin, est un tissu de relations. Les créatures
tendent vers Dieu, et c’est le propre de tout être vivant de
tendre à son tour vers autre chose, de telle manière qu’au sein
de l’univers nous pouvons trouver d’innombrables relations
constantes qui s’entrelacent secrètement[171].
Cela nous invite non seulement à admirer les connexions multiples
qui existent entre les créatures, mais encore à découvrir une clé
de notre propre épanouissement. En effet, plus la personne humaine
grandit, plus elle mûrit et plus elle se sanctifie à mesure qu’elle
entre en relation, quand elle sort d’elle-même pour vivre en
communion avec Dieu, avec les autres et avec toutes les créatures.
Elle assume ainsi dans sa propre existence ce dynamisme trinitaire
que Dieu a imprimé en elle depuis sa création. Tout est lié, et
cela nous invite à mûrir une spiritualité de la solidarité
globale qui jaillit du mystère de la Trinité.
241. Marie,
la Mère qui a pris soin de Jésus, prend soin désormais de ce monde
blessé, avec affection et douleur maternelles. Comme, le cœur
transpercé, elle a pleuré la mort de Jésus, maintenant elle
compatit à la souffrance des pauvres crucifiés et des créatures de
ce monde saccagées par le pouvoir humain. Totalement transfigurée,
elle vit avec Jésus, et toutes les créatures chantent sa beauté.
Elle est la Femme « enveloppée de soleil, la lune est sous ses
pieds, et douze étoiles couronnent sa tête » (Ap 12,
1). Élevée au ciel, elle est Mère et Reine de toute la création.
Dans son corps glorifié, avec le Christ ressuscité, une partie de
la création a atteint toute la plénitude de sa propre beauté. Non
seulement elle garde dans son cœur toute la vie de Jésus qu’elle
conservait fidèlement (cf. Lc 2, 51.51), mais elle
comprend aussi maintenant le sens de toutes choses. C’est pourquoi,
nous pouvons lui demander de nous aider à regarder ce monde avec des
yeux plus avisés.
242. A
côté d’elle, dans la Sainte Famille de Nazareth, se détache la
figure de saint Joseph. Il a pris soin de Marie et de Jésus ; il les
a défendus par son travail et par sa généreuse présence, et il
les a libérés de la violence des injustes en les conduisant en
Égypte. Dans l’Évangile, il apparaît comme un homme juste,
travailleur, fort. Mais de sa figure, émane aussi une grande
tendresse, qui n’est pas le propre des faibles, mais le propre de
ceux qui sont vraiment forts, attentifs à la réalité pour aimer et
pour servir humblement. Voilà pourquoi il a été déclaré
protecteur de l’Église universelle. Il peut aussi nous enseigner à
protéger, il peut nous motiver à travailler avec générosité et
tendresse pour prendre soin de ce monde que Dieu nous a confié.
243. A
la fin, nous nous trouverons face à face avec la beauté infinie de
Dieu (cf. 1 Co 13, 12) et nous pourrons lire, avec
une heureuse admiration, le mystère de l’univers qui participera
avec nous à la plénitude sans fin. Oui, nous voyageons vers le
sabbat de l’éternité, vers la nouvelle Jérusalem, vers la maison
commune du ciel. Jésus nous dit : « Voici, je fais l’univers
nouveau » (Ap 21, 5). La vie éternelle sera un
émerveillement partagé, où chaque créature, transformée d’une
manière lumineuse, occupera sa place et aura quelque chose à
apporter aux pauvres définitivement libérés.
244. Entre-temps,
nous nous unissons pour prendre en charge cette maison qui nous a été
confiée, en sachant que tout ce qui est bon en elle sera assumé
dans la fête céleste. Ensemble, avec toutes les créatures, nous
marchons sur cette terre en cherchant Dieu, parce que « si le monde
a un principe et a été créé, il cherche celui qui l’a créé,
il cherche celui qui lui a donné un commencement, celui qui est son
Créateur ».[172] Marchons
en chantant ! Que nos luttes et notre préoccupation pour cette
planète ne nous enlèvent pas la joie de l’espérance.
245. Dieu
qui nous appelle à un engagement généreux, et à tout donner, nous
offre les forces ainsi que la lumière dont nous avons besoin pour
aller de l’avant. Au cœur de ce monde, le Seigneur de la vie qui
nous aime tant, continue d’être présent. Il ne nous abandonne
pas, il ne nous laisse pas seuls, parce qu’il s’est
définitivement uni à notre terre, et son amour nous porte toujours
à trouver de nouveaux chemins. Loué soit-il.
* *
*
246. Après
cette longue réflexion, à la fois joyeuse et dramatique, je propose
deux prières : l’une que nous pourrons partager, nous tous qui
croyons en un Dieu Créateur Tout-Puissant ; et l’autre pour que
nous, chrétiens, nous sachions assumer les engagements que nous
propose l’Évangile de Jésus, en faveur de la création.
Dieu
Tout-Puissant
qui es présent dans tout l’univers
et dans la plus petite de tes créatures,
Toi qui entoures de ta tendresse tout ce qui existe,
répands sur nous la force de ton amour pour que
nous protégions la vie et la beauté.
Inonde-nous de paix, pour que nous vivions
comme frères et sœurs
sans causer de dommages à personne.
Ô Dieu des pauvres,
aide-nous à secourir les abandonnés
et les oubliés de cette terre
qui valent tant à tes yeux.
Guéris nos vies,
pour que nous soyons des protecteurs du monde
et non des prédateurs,
pour que nous semions la beauté
et non la pollution ni la destruction.
Touche les cœurs
de ceux qui cherchent seulement des profits
aux dépens de la terre et des pauvres.
Apprends-nous à découvrir
la valeur de chaque chose,
à contempler, émerveillés,
à reconnaître que nous sommes profondément unis
à toutes les créatures
sur notre chemin vers ta lumière infinie.
Merci parce que tu es avec nous tous les jours.
Soutiens-nous, nous t’en prions,
dans notre lutte pour la justice, l’amour et la paix.
qui es présent dans tout l’univers
et dans la plus petite de tes créatures,
Toi qui entoures de ta tendresse tout ce qui existe,
répands sur nous la force de ton amour pour que
nous protégions la vie et la beauté.
Inonde-nous de paix, pour que nous vivions
comme frères et sœurs
sans causer de dommages à personne.
Ô Dieu des pauvres,
aide-nous à secourir les abandonnés
et les oubliés de cette terre
qui valent tant à tes yeux.
Guéris nos vies,
pour que nous soyons des protecteurs du monde
et non des prédateurs,
pour que nous semions la beauté
et non la pollution ni la destruction.
Touche les cœurs
de ceux qui cherchent seulement des profits
aux dépens de la terre et des pauvres.
Apprends-nous à découvrir
la valeur de chaque chose,
à contempler, émerveillés,
à reconnaître que nous sommes profondément unis
à toutes les créatures
sur notre chemin vers ta lumière infinie.
Merci parce que tu es avec nous tous les jours.
Soutiens-nous, nous t’en prions,
dans notre lutte pour la justice, l’amour et la paix.
Nous
te louons, Père, avec toutes tes créatures,
qui sont sorties de ta main puissante.
Elles sont tiennes, et sont remplies de ta présence
comme de ta tendresse.
Loué sois-tu.
qui sont sorties de ta main puissante.
Elles sont tiennes, et sont remplies de ta présence
comme de ta tendresse.
Loué sois-tu.
Fils
de Dieu, Jésus,
toutes choses ont été créées par toi.
Tu t’es formé dans le sein maternel de Marie,
tu as fait partie de cette terre,
et tu as regardé ce monde avec des yeux humains.
Aujourd’hui tu es vivant en chaque créature
avec ta gloire de ressuscité.
Loué sois-tu.
toutes choses ont été créées par toi.
Tu t’es formé dans le sein maternel de Marie,
tu as fait partie de cette terre,
et tu as regardé ce monde avec des yeux humains.
Aujourd’hui tu es vivant en chaque créature
avec ta gloire de ressuscité.
Loué sois-tu.
Esprit-Saint,
qui par ta lumière
orientes ce monde vers l’amour du Père
et accompagnes le gémissement de la création,
tu vis aussi dans nos cœurs
pour nous inciter au bien.
Loué sois-tu.
orientes ce monde vers l’amour du Père
et accompagnes le gémissement de la création,
tu vis aussi dans nos cœurs
pour nous inciter au bien.
Loué sois-tu.
Ô
Dieu, Un et Trine,
communauté sublime d’amour infini,
apprends-nous à te contempler
dans la beauté de l’univers,
où tout nous parle de toi.
Éveille notre louange et notre gratitude
pour chaque être que tu as créé.
Donne-nous la grâce
de nous sentir intimement unis à tout ce qui existe.
Dieu d’amour, montre-nous
notre place dans ce monde
comme instruments de ton affection
pour tous les êtres de cette terre,
parce qu’aucun n’est oublié de toi.
Illumine les détenteurs du pouvoir et de l’argent
pour qu’ils se gardent du péché de l’indifférence,
aiment le bien commun, promeuvent les faibles,
et prennent soin de ce monde que nous habitons.
Les pauvres et la terre implorent :
Seigneur, saisis-nous
par ta puissance et ta lumière
pour protéger toute vie,
pour préparer un avenir meilleur,
pour que vienne
ton Règne de justice, de paix, d’amour et de beauté.
Loué sois-tu.
Amen.
communauté sublime d’amour infini,
apprends-nous à te contempler
dans la beauté de l’univers,
où tout nous parle de toi.
Éveille notre louange et notre gratitude
pour chaque être que tu as créé.
Donne-nous la grâce
de nous sentir intimement unis à tout ce qui existe.
Dieu d’amour, montre-nous
notre place dans ce monde
comme instruments de ton affection
pour tous les êtres de cette terre,
parce qu’aucun n’est oublié de toi.
Illumine les détenteurs du pouvoir et de l’argent
pour qu’ils se gardent du péché de l’indifférence,
aiment le bien commun, promeuvent les faibles,
et prennent soin de ce monde que nous habitons.
Les pauvres et la terre implorent :
Seigneur, saisis-nous
par ta puissance et ta lumière
pour protéger toute vie,
pour préparer un avenir meilleur,
pour que vienne
ton Règne de justice, de paix, d’amour et de beauté.
Loué sois-tu.
Amen.
Donné
à Rome, près de Saint-Pierre, le 24 mai 2015, solennité de
Pentecôte, en la troisième année de mon Pontificat.
Franciscus
[3] Discours
à l’occasion du 25ème anniversaire
de la FAO (16 novembre
1970),
n. 4 : AAS 62
(1970), 833.
[5] Cf. Catéchèse (17
janvier 2001),
n. 4 : Insegnamenti 24/1
(2001), 179 ; L´Osservatore
Romano,
éd. française (par la suite ORf)
(23 janvier 2001), n. 4, p. 12.
[8] Jean-Paul
II, Lett. enc. Sollicitudo
rei socialis (30 décembre
1987), n. 34 : AAS 80
(1988), 559.
[10] Discours
au Corps Diplomatique accrédité près le Saint-Siège,
(8 janvier 2007) : AAS 99
(2007), n. 73.
[15] Discours
à Santa Barbara, California (8
novembre 1997) ; cf. John Chryssavgis, On
Earth as in Heaven: Ecological Vision and Iniciatives of Ecumenical
Patriarch Bartholomew,
Bronx, New York
2012.
[16] Ibid.
[18] Discours
au I er Sommet
de Halki : «Global Responsibility and Ecological Sustainability:
Closing Remarks»,
Istanbul (20 juin 2012).
[22] Conférence
des évêques catholiques d'Afrique du Sud, Pastoral
Statement on the Environmental Crisis (5
septembre 1999).
[24] Vème Conférence
générale de l'épiscopat latino-américain et des
Caraïbes, Document
d’Aparecida (29
juin 2007), n. 86.
[25] Conférence
des évêques catholiques des Philippines, Lettre pastorale What
is Happening to our Beautiful Land? (29
janvier 1988).
[26] Conférence
épiscopale bolivienne, Lettre pastorale sur l’environnement
et le développement humain en Bolivie El
universo, don de Dios para la vida (2012),
17.
[27] Cf.
Conférence épiscopale allemande : Commission pour les affaires
sociales, Der
Klimawandel: Brennpunkt globaler, intergenerationeller und
ökologischer Gerechtigkeit (septembre
2006), 28-30.
[31] Conférence
des évêques catholiques des États-Unis d'Amérique, Global
Climate Change: A Plea for Dialogue, Prudence and the Common Good (15
juin 2001).
[32] Vème Conférence
générale de l'épiscopat latino-américain et des
Caraïbes, Document
d’Aparecida (29
juin 2007), 471.
[35] Id., Catéchèse (17
janvier 2001),
3 : Insegnamenti 24/1
(2001) ; ORf (23
janvier 2001) n. 4, p. 12.
[38] Cf. Angelus à
Osnabrück (Allemagne) avec des personnes vivant des situations de
handicap (16 novembre 1980) : Insegnamenti 3/2
(1980), 1232 ; ORf (18
novembre 1980), n. 47, p. 3.
[39] Benoît
XVI, Homélie
de la messe inaugurale du ministère pétrinien (24
avril 2005) : AAS 97
(2005), 711.
[42] Conférence
épiscopale allemande, Zukunft
der Schöpfung – Zukunft der Menschheit. Erklärung der Deutschen
Bischofskonferen.Z .Zu Fragen der Umwelt und der
Energieversorgung (1980),
II, 2.
[49] Le
Catéchisme explique que Dieu a voulu créer un monde en route vers
sa perfection ultime, et que ceci implique la présence de
l’imperfection et du mal physique : cf. Catéchisme
de l’Eglise Catholique,
n. 310.
[50] Cf.
Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium
et spes,
sur l’Église dans le monde de ce temps, n. 36.
[53] L’apport
de P. Teilhard de Chardin se situe dans cette perspective ; cf. Paul
VI, Discours
dans un établissement de chimie pharmaceutique (24
février 1966) : Insegnamenti 4
(1966), 992-993 ; Jean-Paul II, Lettre
au Révérend P. George V. Coyne (1er juin
1988) : Insegnamenti 11/2
(1988), 1715 ; Benoît XVI, Homélie
pour la célébration des Vêpres à Aoste (24
juillet 2009) : Insegnamenti 5/2
(2009), 60.
[55] Conférence
des évêques catholiques du Canada : Commission des affaires
sociales, Lettre pastorale sur l’Impératif
écologique chrétien (4
octobre 2003), 1.
[56] Conférence
des évêques du Japon, Reverence
for Life. A Message for the Twenty-First Century (janvier
2001), n. 89.
[70] Conférence
de l’Épiscopat de la République Dominicaine, Carta
pastoral sobre la relación del hombre con la naturaleza,
(21 janvier 1987).
[74] Discours
aux indigènes et paysans du Mexique,
Cuilapán (29 janvier 1979),
n. 6 : AAS 71
(1979), 209.
[75] Homélie
de la messe pour les agriculteurs à Recife,
Brésil (7 juillet 1980), n. 4 : AAS 72
(1980), 926.
[77] Conférence
épiscopale paraguayenne, Lettre pastorale El
campesino paraguayo y la tierra (12
juin 1983), n. 2, 4, d.
[78] Conférence
épiscopale de Nouvelle Zélande, Statement
on Environmental Issues,
Wellington (1er septembre
2006).
[80] Pour
cette raison saint Justin a pu parlé de « semences du Verbe » dans
le monde : cf. II
Apologia 8,
1-2 ; 13, 3-6 : PG 6,
457-458 ; 467.
[81] Jean-Paul
II, Discours
aux représentants des hommes de la science, de la culture et des
hautes études à l’Université des Nations-Unies,
Hiroshima (25 février 1981), n. 3 : AAS 73
(1981), 422.
[83] Romano
Guardini, Das
Ende der Neuzeit,
Würzburg 91965,
p. 87 (édition française : La
fin des temps modernes,
Paris 1952, p. 92, par la suite éd. fr.).
[94] Cf. Déclaration Love
for creation. An Asian Response to the Ecological Crisis,
Colloque organisé par la Fédération des Conférences Épiscopales
d’Asie, Tagaytay (31 janvier – 5 février 1993), 3.3.2.
[98] Cf.
Vincent de Lerins, Commonitorium
primumm,
chap. 23 : PL 50, 668 : « Ut annis scilicet consolidetur,
dilatetur tempore, sublimetur aetate ».
[100] Conc.
Œcuménique Vat. II, Const. past. Gaudium
et spes,
sur l’Église dans le monde de ce temps, n. 63.
[104] Ibid.
[105] Ibid.
[110] Discours
à l’Académie Pontificale des Sciences (3
octobre 1981),
n. 3 : Insegnamenti 4/2
(1981), 333.
[112] Jean-Paul
II, Discours
à la 35ème Assemblée
Générale de l’Association Médicale Mondiale (29
octobre 1983),
n. 6 : AAS 76
(1984), 394.
[113] Conférence
épiscopale d’Argentine : Commission de Pastorale sociale, Una
tierra para todos (juin
2005), 19.
[117] Certains
auteurs ont montré les valeurs qui souvent se vivent, par exemple
dans les “villas”, bidonvilles ou favelas de l’Amérique Latine
: cf. Juan Carlos Scannone, La
irrupción del pobre y la logica de la gratuidad,
dans : Juan Carlos Scannone y Marcelo Perine (edd.),
Irrupción del pobre y quehacer filosófico. Hacia una nueva
racionalidad,
Buenos Aires 1993, p. 225-230.
[118] Conseil
Pontifical « Justice et Paix », Compendium
de la Doctrine Sociale de l’Eglise,
n. 482.
[122] Conc.
Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium
et Spes,
sur l’Église dans le monde de ce temps, n. 26.
[124] Conférence
épiscopale portugaise, Lettre pastorale Responsabilidade
solidária pelo bem comum (15
septembre 2003), 20.
[127] Conférence
des évêques de Bolivie, Lettre pastorale sur l’environnement et
le développement humain en Bolivie El
universo, don de Dios para la vida (2012),
86.
[128] Conseil
Pontifical « Justice et Paix », Energia, justicia
y paz,
n. IV, 1, Cité du Vatican (2013), p. 57.
[131] Conseil pontifical
« Justice et Paix », Compendium
de la Doctrine Sociale de l’Eglise,
n. 469.
[133] Cf.
Conférence de l'Épiscopat mexicain : Coommission de la Pastorale
sociale, Jesucristo,
vida y esperanza de los indígenas y campesinos (14
janvier 2008).
[134] CConseil pontifical
« Justice et Paix », Compendium
de la Doctrine Sociale de l’Eglise,
n. 470.
[136] Ibid.
[141] Cf.
Lett. enc. Lumen
fidei (29
juin 2013), n. 34 : AAS 105
(2013), 577 : « La lumière de la foi, dans la mesure où elle est
unie à la vérité de l’amour, n’est pas étrangère au monde
matériel, car l’amour se vit toujours corps et âme ; la lumière
de la foi est une lumière incarnée, qui procède de la vie
lumineuse de Jésus. Elle éclaire aussi la matière, se fie à son
ordre, reconnaît qu’en elle s’ouvre un chemin d’harmonie et de
compréhension toujours plus large. Le regard de la science tire
ainsi profit de la foi : cela invite le chercheur à rester ouvert à
la réalité, dans toute sa richesse inépuisable. La foi réveille
le sens critique dans la mesure où elle empêche la recherche de se
complaire dans ses formules et l’aide à comprendre que la nature
est toujours plus grande. En invitant à l’émerveillement devant
le mystère du créé, la foi élargit les horizons de la raison pour
mieux éclairer le monde qui s’ouvre à la recherche scientifique
».
[144] Romano
Guardini, Das
Ende der Neuzeit,
Würzburg 91965,
p. 66-67 (éd. fr. : La
fin des temps modernes,
Paris 1952, p. 71-72).
[152] Benoît
XVI, Homélie
pour l’inauguration solennelle du ministère
pétrinien (24
avril 2005) : AAS 97
(2005), 710.
[153] Conférence
des évêques catholiques d’Australie, A
New Earth – The Environmental Challenge,
Canberra (2002).
[158] Conseil
Pontifical « JustiCe et Paix », Compendium
de la Doctrine Sociale de l’Eglise,
n. 582.
[159] Un
maître spirituel, Alî al-Khawwâç, à partir de sa propre
expérience, soulignait aussi la nécessité de ne pas trop séparer
les créatures du monde de l’expérience intérieure de Dieu. Il
affirmait : « Il ne faut donc pas blâmer de parti pris les gens de
chercher l’extase dans la musique et la poésie. Il y a un “secret”
subtil dans chacun des mouvements et des sons de ce monde. Les
initiés arrivent à saisir ce que disent le vent qui souffle, les
arbres qui se penchent, l’eau qui coule, les mouches qui
bourdonnent, les portes qui grincent, le chant des oiseaux, le
pincement des cordes, les sifflement de la flûte, le soupir des
malades, le gémissement de l’affligé.... », Eva De
Vitray-Meyerovitch [éd.], Anthologie
du soufisme,
Paris 1978, p. 200.
[162] Ibid.
[165] Ibid.
[167] Benoît
XVI, Homélie
à l’occasion de la Messe du Corpus Domini (15
juin 2006) : AAS 98
(2006), 513.
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